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Critique de deidamie


« Maupassant l'avait écrit : le règne de l'homme est terminé. C'est fini. Aujourd'hui, autre chose prend sa place. Je le sais. Khô… non ! Pas maintenant…

Je dois me reprendre. Elles sont là. Je les sens rôder autour de moi, dans ma tête, aussi… Mes dernières forces, je les utiliserai pour prévenir le monde, le plus de monde possible, en publiant ce récit sur les réseaux sociaux. Avec un peu de chance, d'autres trouveront une parade. le peut-on seulement ? Qui sait ce qui se tapit dans les profondeurs de nos machines à imprimer ?

J'ai découvert Lovecraft pendant ma jeunesse estudiantine. J'avais adoré son phrasé au charme désuet, ses textes à la fois empreints de classicisme et de modernité. Je sentais que, sans lui, nous ne connaîtrions pas le monde de l'imaginaire tel qu'il est aujourd'hui.

Le temps a passé, je lus un peu moins… puis un peu plus… et l'envie inexplicable me prit de relire ses textes. Je me procurai quelques livres, puis relus. Une page en appelant une autre, je ne pus bientôt plus m'arrêter.

Comme avant, j'admirais son style élégant, son langage châtié au charme désuet. Je lisais avec gourmandise, savourant les mots comme autant de friandises sur la langue.

Hélas, quelque chose avait changé.

Au début, je ne sentis rien d'autre qu'une vague gêne, qu'un agacement semblable à celui produit par un insecte qui vous tourne autour et que vous ne parvenez pas à chasser.

Je compris que quelque chose se produisait en lisant La Couleur tombée du ciel.



Il était déjà trop tard. J'étais prise, capturée dans Leurs filets. Kh-kh-khô…
Pardon. Je reprends.

Or donc, je poursuivis avec plaisir, un plaisir terni cependant par le racisme ambiant de l'auteur. Il ne m'avait pas gênée dans le Cauchemar d'Innsmouth, parce que les êtres dont il est question ne font plus tout à fait partie de l'humanité : la répulsion qu'ils inspirent est celle que l'on éprouve devant les monstres de notre enfance. Ils ne sont pas nous, voyez-vous.

Dans ce recueil en revanche, le mépris nauséabond, le dégoût pour l'autre, les préjugés raciaux font partie intégrante des histoires. Ils alimentent l'horreur.

En examinant le texte de plus près, je constatai une chose étrange. Plusieurs apostrophes avaient disparu. A leur place ne subsistait qu'une espace vide. Et la lettre « l » qui allait avec ces apostrophes ? Elle se changeait en 1 !

Que s'était-il passé ? Pourquoi un classique, édité, réédité pas plus tard que cette année, était mutilé de la sorte ? Qui avait pu commettre cette barbarie ?

Je menai mon enquête. Je consultai le Lexicotypographicon, le traité du grammairien arabe devenu fou, Abdul al-Anrey. Je n'aurais jamais dû.

Je fis des cauchemars. Un surtout m'effrayait : j'étais interpellée par des apostrophes. Non, vous n'avez pas compris. « Interpellée » dans le sens où j'ai les menottes aux poignets, et elles m'emmènent au commissariat pour m'interroger. Je me réveillais de ces rêves transie par une angoisse inexprimable.

Je continuai malgré tout, me promettant de consulter un spécialiste dès qu'une occasion me le permettrait. J'aimerais pouvoir dire que j'ai exploré de secrètes bibliothèques en Europe, que mes recherches m'ont menée en des lieux inquiétants et fascinants, mais la vérité est que je n'eus qu'à me diriger vers mes propres étagères. Lorsque je vis le nom de la maison d'édition, je conçus un soupçon affreux.

J'allai donc vers mes étagères. Celles qui portent la toute première édition de City Hunter, Nicky Larson en français. Un travail fourni par J'ai lu.
Une édition connue pour la mauvaise qualité de son texte, sans cesse émaillé d'erreurs de toute sorte.

Je m'étais montrée naïve. J'avais cru que l'humanité progressait. Que les choses iraient de mieux en mieux. Je m'étais trompée et cette erreur détruisit ma vie.

Les choses ne vont pas de mieux en mieux. Elles perdurent. Ce qui se passait dans les années 1990 continue aujourd'hui.

Maintenant, je les entends. Elles. Quand j'approche le livre de mon oreille, je les entends chuchoter leurs noms impies, les divinités obscures qui travaillent à détruire nos textes. D'abord, je crus que je perdais la raison. Toutefois, voici une transcription des sons que je perçois, enregistrés par mon smartphone :

*chuchotis dans le bruit blanc* Dh'jailhu… Khôkhyass… Besch'R'lyeh… Hyâd'Efoth…

Cthulhu n'est en réalité qu'une diversion. Cthulhu n'existe pas, c'est Dh'jailhu qui appelle son règne, servi par des humains corrompus infiltrant le monde de l'édition depuis des siècles, aidé dans sa sinistre tâche par ses affreux serviteurs, Khôkhyass et Hyâd'Efoth.

Ces entités me possèdent, désormais. Je veux les fuir, de toute mon âme, mais je ne puis plus lire une page sans les chercher. Même les affiches dans les transports semblent me narguer. Ces démons restent dans ma tête, exigent que je les loue… Non ! Jamais ! Kh-kh-kh… Khôkhyass !

C'en est fait. Mes dernières forces s'épuisent et je ne puis plus que… Dh'jailhu ! Iä ! ne lisez pas… Besch'R'lyeh ! Prenez… autre… édition… Hyâd'Efoth ! Ou demandez… rembours… Khôkhyass ! Perdu… ticket… Dh'jailhu ! Khôkhyass ! Besch'R'lyeh ! Hyâd'Efoth ! Hyâd'Efoth ! HYAD'EFOOOOOOOTH !!! »
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