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Critique de Philliber


La culture, en bonne théorie marxiste, n'a pas d'autonomie, elle est une superstructure déterminée par les infrastructures économiques, et une bonne politique nationalisée et centralisée de la culture éviterait bien qu'on en fasse toute une histoire. Certes.

Mais voilà, entre la théorie et la pratique, il y a de quoi nourrir les historiens (et quelques autres). le bouquin est une sorte d'"enquête [...] synthèse" (p.14) sur un sujet très vaste (embrasser l'histoire culturelle de l'Europe de la fin du XVIIIème siècle à nos jours) à partir d'un cours "professé à Sciences Po" (p.14).

Deux des trois derniers chapitres sont moins convaincants peut-être : "13. Vie privée, vie intime" et surtout "11. Cultures numériques". L'Europe s'y liquéfie (le motif de la liquéfaction est certes désigné), et nous retrouvons ce qu'il nous semble avoir déjà lu plusieurs fois sur les pratiques culturelles, l'identité, le rapport au temps accéléré (Hartmut Rosa en embuscade) ou l'aliénation de "la modernité avancée qui est la nôtre" (p.440) sans que nous sachions exactement qui ce "nôtre" recouvre.

Mais les treize chapitres sont intéressants, et chacun d'entre eux est complété par des notes de fin et une bibliographie. Nous découvrons de judicieux appuis sur des sources maîtrisées (livres, films notamment). J'ai apprécié, outre la richesse des références, l'approche problématisée et le traitement historiographique des thématiques abordées dans chaque chapitre.

Les trois premiers d'entre eux sont plus centrés sur le XIXème siècle : l'invention des identités nationales (chapitre 1), l'émergence proprement européenne d'une "culture urbaine" (chapitre 2 p.53), dont l'analyse des expositions universelles, et "la diffusion d'un universel de représentations et de pratiques occidentales", celui d'une "société du spectacle" (chapitre 3 p.87) née dans quelques capitales européennes.

Le concept de "culture de guerre" fait l'objet d'une claire synthèse dans le chapitre 4, qui évoque notamment une "mémoire longue" (p.145) de la grande guerre (pages 142-145).

Le prisme de l'histoire du genre permet de parcourir (vite) deux siècles d'histoire européenne (chapitre 5) tandis que la "décolonisation des esprits" actualise le chapitre sur "le temps des colonies" (6), et que la question de savoir s'il existe un intellectuel européen dynamise le chapitre 7.

Le chapitre 8 intitulé "Les ondes et les écrans" a l'intérêt de partir de l'"art impur" (p.280) qu'est le cinéma, fort prisé par l'auteure, pour engager une réflexion sur l'articulation entre culture savante, culture populaire et culture de masse.

Encore un chapitre vivifiant ensuite (le 9) sur les politiques culturelles et les politiques de la mémoire dans l'Europe du second XXème siècle, et la "sacralisation/rédemption" (p. 285) dont fait l'objet la culture. Quelques références : côté cinéma, Rohmer (p.294-295) et "la nouvelle vague tchèque" (p.309-313) sont exploités. Et puis : Malraux, Kundera, Fumaroli, la déclaration de Villeurbanne du 25 mai 1968, la littérature russe... (dans ce chapitre, Tzvetan Todorov n'est pas évoqué, dommage).

Le moment 68 n'est pas éludé, dans le chapitre 9 comme dans le suivant, conçu à partir de la question : "1968, une révolte partagée ?". Intéressantes remarques sur le fonds commun des révoltes (dont l'approche situationniste et une incursion du côté de la sociologie) et sur l'aspect transnational du "phénomène" (p.330) décliné selon des "styles nationaux" (p.343).
Une invitation à lire L'événement 68 (2018) d'Emmanuelle Loyer également ?


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