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Critique de Xara0523


« Notre soif d'amour est éternelle, et si nous l'enfouissons sous la sagesse, ce songe merveilleux, ce n'est que pour souffrir un peu moins ». – « Un monde sans moi » est un roman court, façonné, écrit par quelqu'un qui sait bien choisir ses mots. C'est un récit raconté d'une manière impassible, sans trop d'émotion, comme si le narrateur, Michel, regarderait de derrière une vitre sa propre vie se dérouler devant lui. Une vie caractérisée par « le silence et l'absence », dès son enfance, des émotions enfouies au plus profond de lui-même, un silence qu'il arrive pourtant à rompre vers la fin de sa vie pour enfin se raconter.
S'il n'y a guère de dialogues et d'action concrète dans ce roman, c'est l'introspection qui le caractérise à travers un style élaboré et une structure propres à quelqu'un qui réduit le récit de sa vie à dont l'essentiel. Ainsi l'auteur alterne l'enfance et l'adolescence avec des réflexions rétrospectives et des mémoires de guerre, en plus des courtes épisodes de la vie civile et familiale, des pensées intimes et des traits universels.
Objectivement, peu de choses vraiment positives s'y déroulent, mais plutôt que son récit « c'est le siècle qui fut tragique », dit le narrateur. Michel n'a pas des souvenirs précis de son enfance qui « se perd dans un brouillard » : son père, mort de cancer quand il a 12 ans, il n'a pas vraiment connu, pas plus que sa mère, « effacée » par un sentiment de culpabilité comme résultat de sa condition familiale de « bourgeois déchus ». De retour de la guerre d'Indochine, il ne réussit à intégrer une « vie normale » comme vendeur de polices d'assurance mais retourne une deuxième fois « dans le sein chaud et ordonné de l'armée », en Algérie. La guerre elle-même, « aussi intime et vraie que l'amour », lui laisse pourtant un plutôt mauvais goût dans la bouche en entraînant la fin de l'époque coloniale, alors que le narrateur s'est senti plus proche de la « vieille France », achevée « devant l'érection de la bannière chevelue des enfants de la société de consommation ». L'amour étant synonyme à Marie, son amie d'enfance – ils se sont rencontrés durant les vacances chez sa tante en Bourgogne quand Michel avait 7 et elle juste 5 ans – qu'il finit par marier en 1953, il n'arrive cependant pas à lui parler, pas plus qu'il ne réussit à établir une relation avec leurs huit enfants communs.
Plus que l'action, ce sont les reflets intérieurs qui caractérisent ce livre, certaines de ses images et descriptions, vu de la perspective – très subjective – du narrateur qui raconte son histoire à ses lecteurs comme parfois il est plus facile de partager des secrets intimes avec des inconnus plutôt qu'avec des proches. – Madame de P., son temporaire « jardin secret » à qui se doivent quelques-unes des pages les plus intéressantes en plus de la phrase clé – « Autour de moi, il n'y a plus qu'un monde sans moi » –, en est un autre exemple. Du coup Michel se sent entendu par cette vieille dame de quatre-vingts ans née peu après la défaite face aux Prussiens, qui se fait raconter la guerre d'Indochine : lui qui vit la disparition d'une époque y retrouve encore une fois une de ses branches se rabougrissant « dans le souffle de l'histoire » : « combien nous l'avons aimée cette patrie de rechange par le sang versé ».
Si c'est la guerre qui ressemble à la vie du narrateur qu'elle a tant marquée, c'est elle aussi qui est centrale dans son récit : son père est un « miraculé des tranchées » de la Grande Guerre et son beau-père même décoré de la Légion d'honneur, mais « comme beaucoup d'autres » ce dernier « n'avait pas su choisir » durant la période de Vichy et vis-à-vis les exactions du IIIe Reich. Michel lui-même étant trop jeune (il est né vers 1933) pour avoir pu participer à la « sainte croisade » contre les nazis, la 2ème guerre mondiale reste pourtant secondaire, tandis que le récit se concentre sur les guerres d'Indochine et d'Algérie, se révélant si désillusionnantes pour cet adolescent de 17 ans volontaire au « théâtre des opérations extérieures ».
Si l'opinion publique métropolitaine était largement indifférente à la lointaine guerre idéologique, c'était celle joué à domicile, en Algérie française, qui a surtout provoqué l'écœurement du narrateur pour en devenir la principale raison de son silence : « c'était comme si j'avais trop parlé pour mentir et qu'il m'était devenu impossible de croire en mes propres paroles ». Le silence marque sa retraite, aussi comme soldat de métier, d'un monde « sans lui », le monde d'une France postcoloniale lui devenue étrangère, et s'installe même entre lui et Marie. Ce n'est que tardivement qu'il réalise que le vrai héroïsme c'était celui de la mère de ses huit enfants dont le « courage rendait anecdotique » la « bravoure de soldat » du « héros lointain » se taisant par peur du jugement, ce qui lui permet enfin de triompher sur le silence : « Le voile s'est déchiré. »
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