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Critique de Menahem


Recension critique de Frédéric le Moal, sur le site lelittéraire.com

C'est un livre étrange que celui écrit par Menahem Macina. L'ouvrage est une charge contre ceux que l'auteur, spécialiste engagé des relations judéo-chrétiennes, appelle les « zélateurs de l'ecclésiodicée ». Derrière ce néologisme, Menahem Macina désigne les défenseurs acharnés de l'Eglise catholique, des pontifes romains et de leurs actions. Ces avocats trouvent, dans la question Pie XII, une occasion de plaider qui exaspère Menahem Macina.
Selon lui, cette défense acharnée du pape de la Seconde Guerre mondiale met en danger le rapprochement opéré par Vatican II entre juifs et chrétiens, et serait symptomatique de l'orgueil de l'Eglise romaine, du maintien des thèmes anti-judaïques dans le monde catholique et de « l'apparition inquiétante de réticences, voire de remises en question du bien-fondé de la nouvelle attitude de l'Eglise envers le peuple juif et le judaïsme. » C'est en cela que ces avocats de l'accusé Pie XII nuiraient aux intérêts de l'Eglise.
La démarche de l'auteur respecte les critères de la science historique. Il soumet les textes à une critique soigneuse et précise en utilisant des travaux historiographiques. Ces principales cibles sont le Document émis par Rome en 1998, « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah », les analyses de l'historien juif Pinchas Lapide, celles du rabbin David Dallin et le travail de récolte de documents favorables à Pie XII mené par Gary Krupp, un juif américain, et sa fondation Pave the Way. Notons d'ailleurs que cette liste remet en cause la thèse de Menahem Macina sur le lien entre défense de Pie XII, orgueil romain et hostilité au judaïsme...
Dans tous les cas, Menahem Macina traque les omissions, les erreurs, les surévaluations et sous-évaluations, les mauvaises interprétations des textes. Certaines de ses critiques ne manquent pas de pertinence. Il est vrai que les critiques du racisme et de l'antisémitisme nazis émises dans les années Trente par l'Eglise cohabitent avec la réaffirmation des thèmes anti-judaïques (peuple déicide, lutte contre l'influence néfaste des juifs, etc.). D'autres critiques sont plus sévères, voire fragiles, comme la systématique remise en cause des témoignages des proches de Pie XII, comme Soeur Pascalina. Mais le problème se situe ailleurs.
Menahem Macina ne reprend pas à son compte les accusations les plus absurdes formulées contre Pie XII, et il balaie d'un revers de la main les thèses grotesques de Hochhut et de Cornwell. Ni antisémite ni indifférent. C'est une preuve des avancées de l'historiographie sur la question Pie XII dont il faut se féliciter. Ce que reproche Menahem Macina à Pie XII, c'est son silence qu'il juge total et coupable, insupportable et marque « de la non-assistance religieuse à peuple en danger de mort ». Certes, et avec honnêteté, il avance à plusieurs reprises des explications pertinentes sur ce « silence ».
Jusque-là, son livre trouve toute sa place dans les débats historiographiques. Mais, à partir de cette critique, respectable en soi mais qui n'est pas la nôtre, l'ouvrage quitte la route scientifique. L'auteur enlève son costume d'historien pour revêtir celui du prédicateur engagé.
Qu'on en juge. Dès l'introduction, Menahem Macina révèle le coeur de sa démarche. A côté des attaques contre les défenseurs de Pie XII, il veut obtenir de l'Eglise une démarche de repentance pour les coupables silences, ceux du pape et des autres ecclésiastiques. Or, l'historien ne peut que condamner une telle prétention.
Le repentir, rappelons-le, est une démarche volontaire et individuelle d'un individu face à ses fautes. La repentance, elle, consiste à demander pardon pour des fautes commises par d'autres, il y a plusieurs décennies, quand ce n'est pas plusieurs siècles. le tout baignant dans l'anachronisme, la réduction, les confusions. Elle est globalisante et juge a posteriori. Très révélateur des insuffisances d'une telle démarche, Macina met en avant des déclarations de repentance, dont celle de certains évêques français (1998) dont on sait qu'ils sont un modèle de courage.
L'historien n'a pas à dire le Bien et le Mal. Nous n'avons que faire des sentiments de Menahem Macina, de son malaise à l'écoute des discours de Benoit XVI sur son prédécesseur, de son attachement pour Jean XXIII et de ses jugements personnels sur ces « chrétiens qui ne le sont que de nom ». Qu'il sache, mieux que quiconque, ce qui est bien pour l'Eglise, on n'en doute pas un seul instant. Mais qu'est-ce que cela vient faire dans un livre d'histoire ?
Sa critique de Pinchas Lapide repose sur la surévaluation des chiffres des juifs sauvés par Pie XII et par l'Eglise en général (la confusion entre les deux brouillant, il est vrai, l'analyse). Pour expliquer ces erreurs, Menahem Macina évoque l'engagement de Lapide dans le rapprochement judéo-chrétien et qui l'aurait poussé à exagérer les succès humanitaires de Pie XII. Mais on pourrait renverser la critique et la formuler de la même façon à Menahem Macina.
Il y a, dans son livre, beaucoup trop de passion, et même de passion personnelle, une posture morale dérangeante. Cette étude souffre d'une confusion des genres très regrettable. Elle offre elle-même le flanc à la critique. C'est dommage.

Lien : http://www.lelitteraire.com/..
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