AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de tourniereric2002


La gnose est tout cela, et plus encore, et quand on lit les penseurs chrétiens qui ont travaillé à la réfuter, on ne peut que comprendre leur inquiétude: le christianisme n'était pas lui-même, dans cette période (IIe et IIIe siècles), très solide sur le plan des dogmes, et comme Elaine Pagels l'a montré dans un livre très suggestif (Les Évangiles secrets, Gallimard, 1982), la gnose aurait pu l'assimiler entièrement. Or c'est le contraire qui s'est produit: le christianisme a développé une théologie structurée et a fini par refouler ces croyances pléthoriques et à bien des égards éprouvantes pour la raison. le grand Plotin, qui les connaissait bien, leur a consacré quatre traités de ses Ennéades, car pour les Grecs autant que pour les chrétiens, ces gnostiques étaient une réelle aberration.

La collection est une bibliothèque constituée de treize codex manuscrits, sur support de papyrus et reliés en cuir, comprenant un total de 1156 pages et cinquante-deux écrits. Certains sont des doubles, et on cite donc plutôt le chiffre de quarante-six écrits distincts. Découverte par hasard dans un site nommé Nag Hammadi, la bibliothèque porte désormais ce nom et l'ensemble a été réuni au Musée copte du Caire. Certains feuillets pourraient manquer. Tous ces écrits ont été d'abord rédigés en grec, puis traduits en copte, et l'érudition récente suggère que les manuscrits ont été copiés dans la seconde moitié du IVe siècle, la traduction copte remontant probablement à la fin du IIIe siècle. À cette collection, il est maintenant coutume d'ajouter un papyrus de Berlin (le codex 8502), qui offre sur 73 feuillets quatre écrits supplémentaires, très proches par le contenu des écrits de Nag Hammadi.

Tous ces écrits sont aujourd'hui offerts dans une traduction française, avec un riche appareil de notes, dans la Bibliothèque de la Pléiade, où ils entrent après Platon et la Bible, mais avant Aristote et Plotin, on ne peut s'empêcher de le remarquer. C'est en effet grâce aux travaux d'une équipe de l'Université Laval, travaillant en collaboration avec des partenaires français et placée sous la direction de Paul-Hubert Poirier et de Jean-Pierre Mahé, que nous avons maintenant accès à cette bibliothèque fascinante, et sans égale pour la connaissance des mouvements religieux de l'Empire. La plupart de ces écrits ont en effet été l'objet d'abord d'une édition du texte copte, dans la collection des Presses de l'Université Laval, une entreprise exemplaire qui trouve ici une diffusion dont on peut saluer à la fois la rigueur et la générosité.

Doctrines et rites

On ne pénètre pas dans ce monde bigarré sans guide, et on sera reconnaissant aux auteurs rassemblés dans cette édition d'avoir fourni des introductions remarquables de clarté. Tous ces écrits se ressemblent certes par leur intuition d'un monde menaçant, et ils sont imprégnés d'un sentiment d'angoisse auquel tous les lecteurs sont sensibles. Mais leurs doctrines du salut sont présentées par le moyen de fictions mythologiques, empruntant à des sources très diversifiées. Dans leur introduction générale, les éditeurs ont présenté les grands systèmes de base qui se trouvent au fondement de la collection (les doctrines séthiennes, la gnose de Valentin principalement). La doctrine générale de la voie, qui sera pour l'âme captive dans le «chaos amer» du monde, une libération évoque toujours une ascension, mais les moyens pour y parvenir diffèrent. de plus, ces écrits laissent supposer une vie rituelle, et pas seulement une philosophie de l'existence, comme, par exemple, le baptême des Séthiens. La religiosité gnostique se distingue de toutes les autres par cette mélancolie d'un monde délivré de l'oppression, et les interprètes modernes, depuis Hans Jonas, n'ont pas manqué d'insister sur cet aspect dramatique de la gnose.

Quand on parcourt les index, à tous égards indispensables, préparés par Éric Crégheur, on peut être pris de vertige: le panthéon des entités divines et mythiques qui peuplent cet univers fastueux fourmille de noms qui ont été effacés par le triomphe du christianisme et qui ont chacun un milieu d'appartenance, un récit fondateur. Mais que dire si en plus on feuillette l'index des textes? On se trouve en présence d'un tel maillage de sources multiples qu'on peut se demander comment on arrive à restituer les milieux, comment tous ces écrits cohabitaient. Telle était la vie religieuse dans l'Empire, tel était le monde où le christianisme a fait son chemin, et nous ne pouvons qu'exprimer toute notre admiration pour le travail de ces savants de Laval qui nous permettent aujourd'hui d'y accéder.

Collaborateur du Devoir

***

Écrits gnostiques

La bibliothèque de Nag Hammadi

Édition publiée sous la direction de Jean-Pierre Mahé et de Paul-Hubert Poirier

Index établis par Éric Crégheur

Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade»

Paris, 2007, 1830 pages

Lien : https://www.ledevoir.com/lir..
Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}