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Critique de Tempsdelecture


Certes, l'Argentine n'apparait seulement qu'en trame de fond puisque l'épisode se concentre sur la vie de la narratrice argentine à Heidelberg, en Allemagne.

L'héroïne débarque en Allemagne, laissant derrière elle famille, travaille et ex-petit-ami, exactement là où elle vécu trente ans plus tôt avec ses parents lorsqu'ils fuirent la dictature argentine. Elle fuit sa rupture d'avec Salvador, sa vie parfaitement réglée pour se plonger, en un coup de tête, dans un monde constitué pour une grande partie d'inconnu et une petite part de souvenirs, bien lointains. Sans connaître personne là-bas, elle s'installe dans une résidence d'étudiants, ou elle va réussir à tisser des liens avec certains d'entre eux, aussi perdus qu'elle dans cet univers un peu hostile ou beaucoup peinent à trouver des repères. Tout oublier et reprendre son souffle.

Le roman des péripéties allemandes de l'héroïne argentine se lit quasiment d'une traite. Sans aucun temps mort, il nous entraîne dans la solitude de cette exilée totalement déboussolée et qui se lit d'une amitié, aussi improbable que furtive avec une jeune japonaise ainsi qu'un compatriote auquel elle finit par se lier. Elle vit cet exil à la fois comme un retour aux sources et comme une pause rédemptrice dans sa vie à travers la distance qu'elle met avec son pays et sa famille : mais c'est toute une multitude d'aventures, de surprises, de rencontres, les plus inattendues les unes que les autres, qui l'attendent et qui donnent tout le sel de ce roman.

Un roman tour à tour grave, certains savent cacher leurs blessures avec soin, léger, la narratrice est une jeune femme désormais célibataire qui papillonne d'un homme à l'autre, ne sachant plus ni ce qu'elle veut, ni où elle va, plein d'émotions de ceux qui s'enfoncent dans leur douleur sans jamais pouvoir en ressortir, de sentiments dissimulés, mais aussi plein d'espoir, où la rencontre avec certains qui donnent sans compter et sans qu'il n'y ait de retour possible.

La jeune femme forme un trio avec ses deux amis argentins, et Mario, liés par une sorte d'entente naturelle – même si l'Argentine est un pays immense – une forte amitié qui revêt d'ailleurs plus une identité de liens amoureux ou d'amour paternel que de liens amicaux. Au delà de cette sensation d'exilé qu'ils partagent tous les trois, et que presque tous les personnages de ce roman de l'exil partagent, ou Heidelberg est une terre d'accueil, un refuge, loin des terres brulées d'Argentine et d'ailleurs. Fréquentant essentiellement des individus issus de l'immigration, temporaire ou définitive, le récit offre une galerie de personnages qui ont quitté leur pays pour des raisons diverses, politique, économique, familiale ou pour les études. C'est un miroir aux multiples reflets de l'experience de l'exile, vécue positivement, subie, voie de secours pour certains, impasse pour d'autres, ou voie d'accès pour d'autres encore pour accéder à une vie meilleure au sein de leur propre pays.

Pour la narratrice, c'est une sorte de passerelle entre passé et présent, elle n'a jamais fait le deuil de cette vie allemande, et cette parenthèse qu'elle s'offre, à bout de souffle d'une vie qui lui pesait, aussi courte qu'elle soit, ce qui explique aussi la brièveté du roman, et de l'expérience finalement éprouvante et condensée qu'elle y vit – deuil, naissance, amitié, retrouvailles, aventure, sensualité – d'expériences qu'elle vit pour la première fois en Allemagne. C'est bref, mais c'est dense, la narratrice est jeune, attirante, seule et intelligente, forcément elle sait capter l'attention des uns, des autres, elle entraine dans son sillon ses compagnons d'errance. On se laisse, de la même façon, emporté par le tourbillon de péripéties dans lesquelles elle se laisse entrainer sans s'apercevoir que le récit est déjà terminé. La seule chose que je pourrai reprocher à ce roman : la fin est très abrupte, et ne laisse pas de place à une voie de sortie éventuelle, que l'on attend pourtant très tôt dans le récit, dommage.

C'est un bon premier roman, il y aurait eu quelques chapitres en plus pour peaufiner la sortie de scène de la narratrice que je n'aurais pas trouvé cela plus mal. Cela dit, c'est un roman de l'instantanéité ou les personnages vivent et profitent, sur le moment, sans penser au jour d'après, jouissent de l'instant présent, chacun sait que leur position n'est que passagère, les amours comme les amitiés, les temps sont comptés comme le séjour à Heidelberg de la narratrice. Roman de transition, de l'entre-deux qui mélange un brin de folklore argentin et la turpitude de la réalité froide et acérée d'une étrangère seule dans une ville allemande, dont les souvenirs commencent à devenir dangereusement délavés par l'usure du temps. C'est un roman qui a le charme particulier de la fugacité de ces instants légers, doux et heureux, aux effluves d'un bonheur qui a été, de celui qui pourrait être, en tout cas il est de ceux qui ne s'oublieront pas.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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