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Critique de berni_29


L'infinie patience des oiseaux est un magnifique récit, écrit par un auteur australien, David Malouf, que j'ai découvert par ce roman. C'est un livre relativement concis, 216 pages, qui nous mène d'Australie vers l'Europe, en nous faisant visiter les deux versants contrastés d'un même monde à travers la beauté des oiseaux.
Il y a de la légèreté et de la grâce derrière chaque page de ce livre. Pourtant ici il n'est pas question que d'oiseaux. Ce livre nous parle d'humanité.
Ce sont deux versants d'un même livre, d'un même monde qui viennent faire écho, d'un côté sa beauté comme suspendue au-dessus du vide, de l'autre le bruit du fer, du sang et de la mort. Il y a aussi la fragilité et l'immanence de l'instant, arrachées comme un bout de tissu à l'éternité qui passe au-dessus de nous, comme une comète.
Ce sont des oiseaux qui viennent se poser sur les premières pages du livre et deux hommes vont leur tendre les bras dans ce ciel d'Australie, encore loin et préservé du malheur du monde.
Dès les premières pages du récit, c'est une envolée d'oiseaux qui vient nous surprendre et nous enchanter. Nous sommes dans le Queensland, au nord-est de l'Australie. Cette région bordée au large par le plus grand récif corallien du monde, accueille aussi une vaste population d'oiseaux aquatiques.
Des chevaliers, des sternes, des pics bleus, des ibis, des martins-chasseurs, des bécasses, des huitriers pies...
Ici, le temps est comme suspendu, loin de l'Europe où se prépare déjà ce qui sera « l'horrible boucherie », nous sommes en 1914.
Cet endroit est un paradis pour les oiseaux : océan, plages, marécages, fonds d'estuaires et, dans l'arrière-pays, pâturages, bois et collines, forêts plus profondes.
Des oiseaux s'éparpillent et s'envolent au fur et à mesure que nous déroulons les pages. Chaque page est un fragment de poésie semé de battements d'ailes et de chants stridents. Chaque page est une délicatesse. Il y a cette forme de légèreté, presque en apesanteur, qui m'a d'emblée séduit.
Deux hommes vont se rencontrer, non pas par hasard, mais à la faveur d'une passion commune pour les oiseaux migrateurs... Ashley Crowther, à peine de retour d'Europe où il a accompli ses études, vient d'hériter de la propriété de son père. Il découvre en même temps la splendeur du décor immense qui s'étale autour de sa demeure. En parcourant son domaine à cheval, il fait la connaissance de Jim Saddler. Les deux hommes sont jeunes, une vingtaine d'années à peine, ils n'appartiennent pas au même milieu social, Jim cherche un travail. Ashley lui fait alors une offre pour l'adjoindre à ses services, celle de répertorier tous les oiseaux du domaine. Les deux hommes se découvrent un même rêve, celui de créer un sanctuaire destiné aux oiseaux migrateurs. Ils vont partager cette passion avec un personnage aussi étonnant que discret, une photographe, Miss Imogen Harcourt, bien plus âgée qu'eux, elle devient un peu pour eux comme une grande soeur...
Mais voilà, la guerre arrive, la guerre est là, puisque nous sommes en 1914 et il faut y aller, partir pour l'Europe.
Ashley et Jim vont s'engager dans cette guerre...
Sur le terrain de la guerre, c'est surtout Jim que nous voyons évoluer. La découverte de l'horreur vient très vite et se fait à travers son regard de fin observateur. C'est un bain de sang, le sang des soldats, des camarades, qui vous éclabousse autant que la boue des tranchées, chaque fois qu'un obus tombe tout près.
Comment ne pas sombrer dans la folie des hommes, sauf à tendre un regard vers le ciel, capter un mouvement, quelque chose qui vole, qui bruit, tenir, tenir, tenir dans la boue... ? Ne pas sombrer dans la folie des hommes.
Par moment dans ce ciel de guerre, dans une forme d'indifférence au chaos qui se déroulent sous eux, les oiseaux ne semblent pas être effrayés par la canonnade, ni par les cris de ceux qui agonisent en bas, appellent leur mère au fond d'un trou creusé par les bombes. Les oiseaux ne semblent pas affolés, ou peut-être le feignent-ils ? Allez savoir pourquoi ?
Dans la guerre, Jim vit et revit de réels moments de grâce lorsqu'il retrouve quelques-uns des oiseaux migrateurs qu'il avait pu observer sur une plage du Queensland quelques mois plus tôt. Chacun s'accroche comme il peut à quelque chose capable de le faire tenir encore un peu debout. Les oiseaux se déplacent, les hommes aussi, pas pour les mêmes raisons.
Plus qu'un hymne à la nature, j'ai entendu dans ce roman comme une hymne à la vie. Je dis bien entendu, car lorsque les mots sont puissants, ils vont au-delà de l'écriture, au-delà des mots, ils cheminent vers des choses sensuelles.
C'est comme un chant qui nous révélerait, par une magnifique ellipse, la vacuité des hommes, leur cruauté, leur bêtise...
Un jour l'infinie patience des oiseaux cessera peut-être, cessera peut-être d'être patiente, s'éteindra parmi la nuit qui nous recouvrera à jamais de sa terre et de sa boue. Les oiseaux s'en seront retirés comme une mer fatiguée au plus loin du rivage.
Sur les dernières pages du livre, Imogen est là photographiant la mer. La guerre est maintenant terminée, le paysage d'ici est demeuré inchangé. Son regard est happé par un jeune homme, très jeune, un adolescent, elle l'aperçoit au loin sur une vague, il semble debout, cherchant l'équilibre, les bras tendus, les jambes sur une sorte d'objet insolite, visiblement encore inconnu pour l'époque, la vague le porte, l'emporte, il semble libre, épris de liberté, comme un oiseau...
Jusqu'à la dernière page, j'ai trouvé ce roman très beau à tel point que j'ai ressenti, le livre à peine refermé, un immense besoin d'aller cheminer vers la mer, pas très loin d'ailleurs de chez moi, en bord de rade de Brest... Voir le ciel, les oiseaux, me rassurer comme cela...
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