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Critique de Dixie39


20/11 : Midi. Il est dans ma boîte aux lettres. Très vite dans mes mains. Je picore plus que je ne mange et commence à lire : Istanbul, la place Taksim, le parc Gezi, Recep Erdogan et la démocratie étouffée dans la violence, la guerre, les réfugiés à la frontière... Je pars travailler sur ces derniers mots "les turcs, les Kurdes, les Syriens, les travailleurs pseudo-humanitaires, ils peuvent tous crever dans leur croissant fertile de merde : cette terre est maudite, sauve qui peut."
Mais pour aller où, Sara ?
22h00 : Je sais que ce n'est pas raisonnable, mais je le reprends et continue à lire. "Que peut-on faire pour la liberté, pour l'art, pour l'amour ? C'est une question simple, non." Je suis les pas de Valérie Manteau, son style me surprend. Je bute sur les phrases, ne sais pas toujours qui parle, je repars en arrière, reprend ma lecture, j'essaie de ne pas les perdre, ces petites voix qui s'entremêlent, s'entrechoquent. Et puis, très vite, c'est là ! Ce rythme, cette respiration. Je marche maintenant côte à côte avec elle. Nous partageons la même foulée, dans les rues d'Istanbul qui nous conduisent au Muz, dans les escaliers qui mènent à son appartement, celui de son amant turc.

Je ne sais toujours pas comment prononcer Hrant. "Des phrases de lui, tracées dans de la terre pigmentée d'Anatolie." Je l'imagine, cette femme, mouvements amples et lents, la tête haute, déterminée à ne rien lâcher. Car céder, c'est mourir encore un peu...
Je m'arrête sur l'origine d'un slogan politique que j'exècre "Tu l'aimes ou tu la quittes". "De quelle tombe crois-tu que Sarkozy a exhumé ce refrain ?" Et c'est déjà le petit matin. Je m'endors en colère...

21/11 : Quelques pages au petit déjeuner avant d'aller bosser. Et ce repas entre collègues à midi, où je leur parle de Sarko, du slogan, du karcher... et tout le monde s'en fout ! L'indifférence, c'est ce qui nous perdra. Tous !
Rentrée tard ce soir, mais pas prête à le lâcher, je reprends le sillon. "Tu vas écrire sur Hrant alors ? (...) Si tu veux mon avis (je fais non de la tête) tu n'as pas besoin de ce détour pour comprendre ce qui nous arrive, tu pourrais aussi bien le voir directement. Au lieu de quoi tu ajoutes des écrans de morts aux vivants pour te planquer, tu n'iras nulle part avec tous ces boulets au pied. Mais précisément, je dis, je ne veux aller nulle part. Je reste ici."

Je reste aussi. Bien planquée dans ma petite vie... mais je te suis. Ton indignation est la mienne : Anna, cette petite robe jaune fluo. Je la porte aussi, elle gonfle et gronde. "il gueule d'un coup très fort, fous le camp maintenant, tu ne comprends rien et tu ne nous aides pas."
Comprendre, j'essaie. Mais c'est pas simple, vu d'ici. Merci à toi, Valérie, de me parler de là-bas, comme personne encore ne l'a fait...

22/11 : "Mais pourquoi tu vas raconter tout ça ?" Tu écris comme on appelle un soir de panique face au drame - cette liberté qu'on emprisonne, ces vies qu'on écrase - lucide et claire, pour que je puisse comprendre - attraper cette main tendue - mais avec cette voix saccadée du souffle coupé. L'émotion. Valérie, tes phrases sont des respirations. Une urgence de dire et de donner à entendre. Mais que nous sert d'entendre si nous ne savons pas écouter ?
Je veux retenir tous ces noms, ces anonymes, ces écrivains, ces journalistes, qui résistent et tremblent. Asli et tous les autres...
J'arrive sur les dernières pages.

Ne plus pouvoir lire
La gorge serrée
Mais continuer à écrire

23/11 :

Hrant Dink. "Mort assassiné par balle le 19 janvier 2007 devant son journal, Agos, à Osmanbey, quartier animé de la rive européenne d'Istanbul. Abattu par un jeune nationaliste de dix-sept ans qui a voulu débarrasser le pays de cet insolent Arménien, "l'ennemi des Turcs"."

Les mots suffoquent-ils
encore sur le papier froissé ?
Lien : https://page39web.wordpress...
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