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Critique de Lazlo23


Au centre d'"Un coeur si blanc", il y a un malaise.
Celui qu'éprouve Juan, le narrateur, au moment d'épouser la belle Luisa dont il est follement épris. S'agit-il seulement de la crainte tardive d'un célibataire endurci qui voit sa liberté menacée par le mariage ou bien de quelque chose de plus profond, lié entre autres au mystérieux suicide de sa tante maternelle, quelques années avant sa naissance ?
Cela aurait-il un rapport avec une phrase ambiguë prononcée par son père, le jour de ses noces ?
Tout cela à la fois, bien sûr, et le talent de Javier Marías va consister à mener de front un certain nombre d'histoires, apparemment indépendantes les unes des autres, et à les faire converger vers un bouquet final, et vers une vérité dont le pauvre Juan se serait peut-être bien passé.
Décrit par son auteur comme un livre "sur le secret et sa possible nécessité, sur le mariage , l'assassinat, la manipulation, sur le soupçon, sur le dire et le taire...", "Un coeur si blanc" est un roman virtuose, qui vous happe dès les premiers mots et ne vous laisse pas respirer avant le point final.
Cela est d'abord dû à la qualité du style de Javier Marías, un style fait de longues phrases extrêmement travaillées et de nombreuses répétitions qui donnent à sa prose une dimension incantatoire et hypnotique. A titre d'exemple, voici l'incipit du roman :
"Je n'ai pas voulu savoir, mais j'ai su que l'une des enfants, qui désormais ne l'était plus et revenait à peine de son voyage de noces, entra dans la salle de bain, ôta son soutien-gorge et chercha le coeur du bout du pistolet de son père, attablé dans la salle à manger avec une partie de la famille et trois invités."
Le charme de ce livre tient également à la manière dont, comme chez Proust, chaque personnage y est individualisé par sa psychologie, mais aussi par son langage, voire sa gestuelle, qu'il s'agisse des personnages principaux ou des personnages secondaires, comme la solitaire Berta ou Custardoy, l'inquiétant ami d'enfance.
Signalons enfin qu'au moment de sa publication, en 1991, "Un coeur si blanc" a été lu comme une métaphore de la Transition, cette période de l'histoire contemporaine de l'Espagne au cours de laquelle le passage vers la démocratie s'est fait au prix d'un silence assourdissant sur les compromissions et sur les crimes de la dictature franquiste. De celle-ci, le père de Juan, un expert reconnu en peinture ancienne, est un digne représentant, lui qui a su prospérer dans l'ombre des pires régimes politiques (ceux de Franco et de Batista, en l'occurrence...)

Une lecture que je recommande vivement, cela va sans dire.
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