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Critique de AnneBolenne


"Il n'y aurait qu'un livre pour faire de quelques kilomètres un monde..."

L'écriture de Jean-Luc Marty est une écriture outre mondes…
Des affinités profondes l'unissent aux mondes de l'air, de l'eau, de la terre et du feu;
« J'interroge la lune, pleine ou nouvelle, ses quartiers montant ou descendants. »
Ses mots sont en liberté, ils se déploient entre amour, désir, et cet étonnement vertigineux à la transparence du coeur.
« Une douleur blanche" est une traversée de pages bouleversantes, pudiquement évoquées, et perçues dans la rumeur d'un temps qui émerge du silence. « Un silence enseveli sous des tonnes de bavardages. »
L'enfant, revient d'une clairière éloignée du passé, avec pour bagages les échos du souvenir, le bonheur et les chagrins, qui prennent aux épaules comme un sac de marin.
Les traces, les marques, les salissures du réel, la sphère des illusions, ne pourront jamais effacer les plus riches comme les plus douloureuses heures du passé.
« L'on devrait pouvoir décrocher une fenêtre comme on le ferait d'un tableau, l'emporter avec soi et l'accrocher au mur du domicile suivant. 
L'on vivrait ainsi de lieu en lieu, dans une sorte de transparence du monde qui ne cesserait de s'étendre, d'excéder le réel. »
Coins enfumés de cabarets borgnes, sombre venelle où jacassent les marins à la lueur de lampes blafardes, ports et villes souillés par la crasse et l'oubli, ou ciel de mer inondé, le lecteur est là lui aussi, proche et loin dans les espaces, il s'attache aux personnages, aux lieux, il entre dans une spécificité d'écoute intérieure qui ne doit rien à autrui.
L'encre n'a pas seulement la couleur du cambouis mais aussi celle de l'infini.
Les êtres chers sont là où flambent les paroles, comme pour vivre et pour mourir, comme pour mourir et pour vivre.
Quelque soit l'aire géographique du livre, et quelque soit l'époque, l'arrivée coïncide avec le départ des êtres et des lieux;
"Mais où que j'aie été dans le monde, j'ai fini par revenir ici".
Ici, entre terre et mer, il y a la mère, la femme, « Là-bas, il y avait une femme qui était ma mère, dont je n'avais plus de nouvelles. » 
Il y a le père, absent, le disparu, le gisant éternel que la mer a oublié de rejeter comme les bois flottés.
Les femmes sont les fleurs d'une lune blanche.
Elles sont belles, elles sont fortes, elles sont fragiles.
Maillons qui se croisent et qui s'étalent, captives du clair et de l'obscur, elles sortent des filets de brume.
La mère « est isolée dans un autre noir », la mère dont le « physique rapporte l'avancée du mal. », mais le fils veille, « Veillez est un beau mot. Il raconte les hommes de quart, les gardiens de phare, les gens en charge de guetter par où le pire s'annonce. » La chambre se gorge du mal incurable dont la mère souffre mais aussi de toute cette onde pure de tendresse dont le fils l'entoure. Une halte de grâce. Un geste d'infini qui prodigue l'espérance.

Les pages ouvertes à la confidence ouvrent aussi un chemin au lecteur sur la route des marais, ces pays humides au ras du monde, à la rencontre de Karmel, l'amante dont la beauté liée à une excentricité, la porte aux limites du délire. L'amante : humus de désirs et de pensées, d'affects et de sentiments, de profondeur spirituelle qui engendre l'écriture.
Fleur de l'ombre, à la sensualité sauvage, de cette sauvagerie du feu, qui force le désir de vivre.
« J'aime une femme qui n'a rien de moderne, qui repeuple la salle de guerre d'un vieux bunker de bouts de bois désarmés par les mers. Une femme qui dit que je la prive de moi. Ce qu'elle a murmuré l'autre nuit, me caressant d'étrange façon. »
Au Brésil, à la rencontre de Zé, dans la violence, le tumulte et la corruption d'un autre paysage, de cette proximité immense qui éloigne et rapproche, invariablement.
« À la question de Zé, de savoir ce que j'étais venu chercher au Brésil, j'aurais pu répondre : Un endroit où mes diversités trouveraient place, mes nombreux corps, ma vie de gars inapte à la race. Un coin où deux paysages auraient le droit d'en faire mille , en un seul être. »

C'est bien de ces corps, par une hardiesse de regard et d'écriture que naît, ici, encore, l'émotion.
Ces corps appartiennent-ils désormais à un autre monde, celui où les chagrins sont abolis ?
« L'entrée dans un temps qui exige la naïveté d'un jour le jour, cette éternité-là. »

« Une douleur blanche » raconte ce qu'on aperçoit par la minuscule longue vue enchâssée dans un porte-plume : une nuées de pêcheurs de temps, des jetées de filets comme des chevelures, des âmes brûlées, des nuits de milliers d'années d'existence, des nuages au loin happés par les tempêtes, des marins, des migrants, dans l'invisible houle des mers, et dans un admirable silence : la grandeur de la tolérance et de l'acceptation des différences.

Dans cette authenticité d'écriture, de lignes en lignes, d'îles en îles, dans l'absolu de l'amour, les êtres aimés, entrent dans la mythologie de la blancheur.

Les départs sont sans adieux, ils sont au loin, dans une cité d'ailleurs, d'une autre grève…

Anne Bolenne
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