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Critique de michfred


D'abord, pour moi, cela a été la séduction du titre.

"Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur envoya
pour punir les crimes de la terre,
Capable d'enrichir en un jour l'Acheron,
La peste, puisqu'il faut l'appeler par son nom,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.. "

A la fable la plus tragique De La Fontaine, rappelée par le vers tronqué qu'on retrouve dans le titre du livre, répond explicitement, dans le corps du récit, cette sentence atténuée par le bémol du conditionnel, : "Depuis longtemps, ils le savaient, on leur avait dit à la télé : ils n'en mourraient pas tous, mais tous seraient frappés. C'était leur tour. Tout de même, ça faisait drôle. Comment c'était possible de finir là, éberlués, moitié bourrés dans la cour de l'usine? le boulot parti. "

La Peste, ici, c'est le chômage, et son cytomegalo- virus c'est celui du capitalisme sauvage, suivi de toutes les calamités en " - tion", celles de la mondialisation, de la déréglementation, de la délocalisation, de la désindustrialisation qui, après l'avoir sucée jusqu'à la moelle, jette la classe ouvrière dans les oubliettes de l'économie libérale.

Les personnages de Nicolas Mathieu vivent en Lorraine, ils essaient de survivre dans cette tempête trop grande pour eux qui les secoue comme des fétus de paille. Leurs trajectoires se croisent, s'entrechoquent parfois, se dépassent, se mélangent, se rattrapent et se perdent...

Puisque l'usine bat de l'aile, périclite, va fermer, ferme, il faut pouvoir se retourner. Pas toujours vers des boulots avouables. Petites combines, gros trafics, sombres magouilles...tout plutôt que la panne sèche et la misère..

Martel , syndicaliste un peu véreux mais lucide, désireux de réussir, est encore sur le fil du rasoir, son copain Bruce est déjà mouillé jusqu'au cou-il faut dire qu'il a tout dans les muscles, celui-là, et pas beaucoup de cervelle. Pour Rita, inspectrice du travail, ce qu'elle voit l'écoeure à tel point qu'elle aussi se laisse gagner par la désobéissance, l'imprudence...Autour d'eux grenouillent de bien vilains poissons , dangereux requins ou maquereaux à la manque. Mais ceux qui tirent les ficelles, les cols blancs, s'en tireront toujours...Quant aux petits ados, insouciants du drame des adultes qui les touchera bientôt, ils sont surtout chamboulés par leurs hormones et leur premier baiser..

La Peste n'épargne personne: "Ils n'en mourraient pas tous, mais tous seraient frappés "...

Sur fond de neige et de débâcle industrielle, commence alors un jeu de massacre haletant..

Avec quelques années de retard, et juste avant qu'il ne décroche le Goncourt pour son second roman, je découvre le premier roman de Nicolas Mathieu. Et c'était déjà un coup de maître.

Malgré quelques petites faiblesses de construction -un "désordre"séquentiel assez inutile au début, la technique du roman choral permettant en soi de créer le suspense et de réserver les effets, et un prologue "algérois"- OAS assez superflu - le personnage qu'il concerne a dans le roman un rôle tout à fait subalterne- le roman a toutes les qualités d'un bon roman noir- sombre, inquiétant, haletant- et toutes celles d'un grand roman social - j'ai souvent pensé à "les Vivants et Les Morts" de Mordillat, qui se passe , lui, dans le Nord, mais , ici, avec une écriture plus soignée.

Nicolas Mathieu est un jeune Zola du XXIe siècle, plus proche de ses héros que l'auteur des Rougon-Maquart ne l'était des siens - il restitue à la perfection leurs sentiments, parler et sensations- mais un Zola qui aurait remplacé la distance "documentaire" de l'écrivain naturaliste par une pincée d'humour, souvent noir,
jamais dénué de tendresse.

Un écrivain qui accepte de laisser ouvertes certaines portes, de ne pas tout dire ni tout savoir de ses personnages, laissant à son lecteur un peu de place pour espérer, rêver, imaginer...

Une belle lecture, qui me laisse bien augurer de la suivante, prix Goncourt depuis peu..







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