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Critique de Ingannmic


Les rêveurs, ce sont entre autres Jende et Neni Jonga, qui ont quitté leur Cameroun natal avec l'espoir d'échapper au déterminisme qui, en Afrique, les condamne à la médiocrité, pour l'Amérique, ses possibilités de réalisation sociale et d'enrichissement.

Et l'Amérique tient, dans un premier temps, certaines de ses promesses. Avec l'aide d'un cousin installé sur place, qui a lui-même gravi les échelons jusqu'à exercer dans un prestigieux cabinet d'avocats, Jende trouve un emploi de chauffeur particulier pour la famille Clarks dont Edward, le père, travaille dans la finance. Son épouse Cindy, comme il se doit femme au foyer, organise les mondanités, fait du shopping, boit le thé avec ses amies... le couple a deux fils : un pré-adolescent sensible, facile à vivre et un jeune homme rebelle et gentil qui rêve lui aussi d'un ailleurs où jouir d'une existence détachée des contingences matérielles et du culte de la réussite sociale.

Pendant que Jende véhicule les Clarks, Neni cumule un emploi d'aide-soignante et des cours à l'université, où elle a obtenu une bourse, en vue de devenir pharmacienne. Ils ont eux-mêmes un petit garçon, Liomi, et Neni se retrouve par ailleurs bientôt enceinte. le poste de Jende leur permet d'économiser tout en assistant la famille restée au pays, en finançant les enterrements des uns, les traitements médicaux des autres, ou encore en permettant à tel neveu de de suivre des études...

Mais le rêve peu à peu se fendille...

Le permis de séjour de Jende expire sans être renouvelé, et bien que les démarches pour contester cette décision lui laissent un répit de plusieurs mois, la menace de l'expulsion qui plane au-dessus de sa tête assombrit son humeur. Et surtout, il prend conscience de la dimension illusoire de ses espoirs, réalise que les Etats-Unis ne sont pas la nation des mêmes chances pour tous qu'ils avaient imaginée, et que les barrières, entre riches et pauvres, entre noirs et blancs, restent bien souvent infranchissables. Son statut de travailleur africain l'oblige à une vigilance permanente et à une posture de gratitude servile, à se sentir toujours potentiellement coupable, d'avoir oublié d'aspirer un grain de poussière sur le tapis de la voiture, de respirer trop fort... Lorsqu'il est licencié par son patron qui doit faire face à la crise des subprimes, mais qui satisfait surtout ainsi un caprice de sa femme alcoolique et aux abois face au vacillement de son couple, le rappel de sa vulnérabilité et de son infériorité est particulièrement douloureux. Il finit par admettre qu'il se se perd lui-même, loin des siens et de ses racines, dans ce pays où il n'a pas sa place, et où il s'échinera sans doute toute sa vie pour atteindre un but auquel il n'est plus certain d'aspirer. Que valent la reconnaissance, la réussite, dans une société où la valeur des hommes se mesure à l'aune de leurs possessions matérielles ou de leur couleur de peau ?

Neni continue quant à elle de se fourvoyer, abusée par la phobie d'un éventuel retour au Cameroun -humiliation suprême- et par les modèles trompeurs que lui ont vendu le "Cosby Show" ou "Le Prince de Bel Air"... elle représente tous ceux qui, plutôt que de remettre en cause ce système à deux vitesses, tentent à tout prix d'accéder à ses strates supérieures, contribuant ainsi à entretenir sa légitimité...

Plus que celui de la perte d'une illusion, "Voici venir les rêveurs" est finalement un roman sur la réconciliation d'un homme avec ce qu'il est vraiment. Portée par une écriture simple, factuelle, la lecture en est très fluide, et plaisante, mais il m'a manqué, pour la rendre réellement forte et marquante, une certaine densité...
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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