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Critique de bourg


L'alimentation n'est plus un fait culturel accessoire remisé dans les combles du discours et de la pensée historiographiques. Elle s'est constituée en un véritable objet historique à la personnalité pleine et entière. 20 ans d'investigations systématiques, de travaux d'études exigeants et remarquables portés par une forte aspiration au décloisonnement et une ténacité discrète ont brillamment ouvert la voie à sa légitimation. le fait alimentaire a désormais intégré le paysage historique, son champ méthodologique, ses préoccupations et interrogations critiques. le travail de Philippe Meyzie, plus proche de l'essai que de la synthèse, en est la flagrante démonstration.

A travers le fait alimentaire, ce dernier éclaire les appétits d'une société qui, dans les siècles qui succèdent au Moyen Age, s'engage sur la voie de la conquête du monde et des savoirs. Son propos s'inscrit dans une recherche approfondie sur les pratiques et les valeurs, son approche intègre les questions de sens, de contexte et d'enjeu que réclame une histoire de l'alimentation pertinente et exhaustive.

Ce livre ne se satisfait pas d'une histoire linéaire, d'une succession d'événements exprimant permanences, évolutions et ruptures, mais pose une véritable réflexion qui sollicite jusqu'à l'imaginaire social. La proximité du sujet avec les sciences humaines et les sciences sociales, sa transversalité en font un outil inestimable -l'indispensable complément à toute recherche historique.

L'alimentation en Europe à l'époque moderne est aussi un état des lieux imprégné d'une pédagogie moderniste qui s'épanouit à chaque page parce que, de tout temps, le boire et le manger ont été au coeur de nos préoccupations - une évidence pour Philippe Meyzie, grand pourfendeur de stéréotypes.

Le plan du livre, l'exposé de son contenu se déroule un peu comme une litanie où, au final, tout s'enchevêtre et interfère. Tout ou presque, dans cette société participe de l'aliment : l'autoconsommation, les habitudes et transformations alimentaires, le progrès des techniques, les échanges et les circuits commerciaux, les enjeux économiques, la réciprocité, l'ordre marchand, les flux solidaires et sociaux, l'invention et les évolutions du goût et de la gourmandise, l'émergence de la gastronomie et de la table comme espace de représentation sociale, ses mises en scènes et les cérémonials politiques qui s'accompagnent d'une prodigalité, d'une ostentation et d'un raffinement, véritables métaphores du pouvoir, l'équilibre et le bien-être du corps social et du corps physique, la pharmacopée, la médecine, la diététique et la santé, les relations sociales dans la convivialité, le partage et la sociabilité, enfin l'imaginaire gourmand. le spectre est large, dense

L'Europe du XVIe au XIXe, période d'abondance tant alimentaire que documentaire, de métissages et de chocs culturels, de questionnements et de révolutions - du glissement d'un monde clos et ethnocentré à un espace ouvert voué à l'universalisme - est le creuset et le paradigme de notre système de pensée occidental. En peu de temps, on invente, on innove, on construit, on conçoit, on découvre, on fait et on défait. Une époque-charnière pour une histoire de l'alimentation mouvementée et traversée par des secousses incessantes et fécondes. Fort à propos, Philippe Meyzie nous en révèle tout l'attrait et la «substantifique moelle».
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