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Critique de YvesParis


Dans l'abondante production éditoriale qui a marqué l'entrée de dix nouveaux Etats membres dans l'Union le 1er mai 2004, émerge l'ouvrage que dirige Patrick Michel. Il s'intéresse moins aux changements objectifs que l'Europe centrale a connus depuis la fin du communisme (démocratisation, rattrapage économique) qu'à l'imaginaire et à ses mobilisations. Rompant avec les outils traditionnels de la science politique, il emprunte à la psychosociologie voire à la psychanalyse pour appréhender la nouvelle identité des pays d'Europe centrale. Par exemple, c'est en étudiant la toponymie praguoise qu'Antoine Marès montre que la débaptisation des noms soviétiques fut rapide et la rebaptisation plus complexe : fallait-il célébrer des héros nationaux au risque de sombrer dans le chauvinisme ? consacrer des personnalités européennes ou occidentales inconnues de la population ?

de la Belgique à la Pologne, en passant par la Hongrie et la Roumanie, le constat est identique : les sociétés se sont occidentalisées. Nadège Ragaru décrit, pour la Bulgarie, tous les aspects de ce processus : changements du paysage urbain, stratification sociale caractérisée par l'enrichissement des entrepreneurs et la paupérisation des exclus, bouleversement des échelles de valeurs … Cette occidentalisation des moeurs s'est accompagnée d'une relation plus ambiguë à l'Occident. Si l'Occident, dans sa composante tant ouest-européenne qu'américaine, fait figure de modèle, les difficultés rencontrées sur le chemin de l'intégration européenne et euro-atlantique ont provoqué parfois humiliation et repli sur soi. C'est ce dont témoigne Antonela Capelle-Pogacean : « La Roumanie apparaissait … comme le pays des enfants abandonnés dans les orphelinats ou celui des paysages urbains misérables, noircis par des industries polluantes. L'ailleurs, idéalisé auparavant, convoité encore dans le présent, devint dès lors l'objet d'un rejet qui suscitait une aspiration à la fermeture » (p. 108).

Ce rapport ambigu à la modernité occidentale explique pour une grande part la désaffection des populations à l'égard de la politique et permet de comprendre l'abstention enregistrée en juin 2004 lors des élections européennes dans ce pays. le « retour à l'Europe » tant espéré durant l'époque communiste a entraîné trop de désillusions. le creusement des inégalités sociales, l'exposition à un consumérisme exacerbé dont seuls les plus fortunés pouvaient espérer goûter les fruits n'expliquent pas tout. La fin du communisme disqualifiait pour longtemps l'utopie politique, même européenne, même occidentale. C'est tout le paradoxe de la démocratisation en Europe centrale que pointe Patrick Michel dans sa longue introduction : l'enthousiasme lyrique de 1989 n'a pas survécu au refus de la société de substituer à l'ancienne utopie (le communisme) la nouvelle (l'intégration européenne) que les élites occidentales lui proposaient. D'où une « mélancolie du réel » qui se traduit à la fois par la permanence d'anciennes élites politiques, rebaptisées, aux postes de direction et une certaine Ostalgie qu'illustre le film Goodbye Lenin et plus encore son succès inattendu.
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