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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Jupiter's Legacy, tome 1 : Lutte de pouvoirs (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant, car ces 10 épisodes forment une saison complète. Celui-ci contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2016/2017, écrits par Mark Millar, dessinés et encrés par Frank Quitely, avec une mise en couleurs réalisées par Sunny Gho, la même équipe créatrice que le premier tome. Pour avoir une idée plus complète de l'histoire personnelle des protagonistes, le lecteur peut également découvrir Jupiter's circle 1 et Jupiter's circle 2 (en VO), également écrits par Mark Millar.

En 1991 à Santa Fe, George Hutchence a revêtu son costume de Skyfox, et il papote avec son fils Hutch qui est en train de regarder un dessin animé des Tortues Ninjas. Il lui construit un bâton de pouvoir, et il finit par sortir sur sa pelouse devant son pavillon, alors qu'une horde de superhéros est en train d'y atterrir. Sur une route aux environs de Paris en 2020, Hutch (le fils de Skyfox) se matérialise dans un fourgon policier, et il y libère un supercriminel appelé Tornado. Dans une métropole du Sud de la Chine, la supercriminelle Neutrino vient de dévaliser une banque et elle s'enfuit dans une voiture de sport, en s'en vantant au téléphone auprès d'une copine. Chloe Sampson se matérialise sur le siège passager et lui propose de rejoindre son groupe d'individus dotés de superpouvoirs.

Puis Hutch et elle recrutent chacun leur tour d'autres personnes : Light-Girl à Singapour, Wood King à Berlin, Automaton à Londres, Jack Frost en Antarctique, Tattoo au Brésil. Pendant ce temps-là, Brandon Sampson inspecte les mesures de sécurité dans la prison Supermax pour individus dotés de superpouvoirs. Il évoque l'intervention de Hutch, avec oncle Walter Sampson, en présence de sa femme, de Ruby Red, et d'un autre superhéros. de leur côté, Chloe et Hutch s'apprêtent à délivrer Repro à Dubaï, mais pour cela ils doivent d'abord neutraliser Raikou, une gardienne capable de lire dans les pensées et dotée de superforce. Ils ont dû envoyer leur fils Jason en premier pour se mesurer à elle.

La première moitié de ce récit avait impressionné le lecteur par la rapidité de la progression de l'intrigue, la forte personnalité des protagonistes, et la beauté plastique des pages. Mark Millar reprenait ses thèmes habituels sur les superhéros, mais en enchaînant les étapes à un rythme soutenu, que ce soit la jeune génération uniquement intéressée par l'argent et la gloire, ou les superhéros s'opposant entre eux pour des questions parfois futiles. Frank Quitely réalisait des dessins délicats, immédiatement lisibles, montrant aussi bien l'apparence fragile des individus, que la force des destructions qu'ils causent. le lecteur présuppose que les auteurs vont conserver les mêmes principes narratifs pour cette deuxième moitié. C'est plus compliqué que ça. Parmi la deuxième génération de superhéros, Brandon Sampson s'est emparé du pouvoir et règne de manière autoritaire. Une partie des autres (à commencer par Chloe & Hutch) a décidé d'y remédier.

La parution de ces 5 épisodes s'est étalée de juin 2016 à juillet 2017, pour que Frank Quitely puisse réaliser ses pages à son rythme. le lecteur retrouve bien sa personnalité graphique dans tous les épisodes. En particulier il continue d'utiliser le découpage de planche qu'il préfère : 4 cases de la largeur de la page, par page. Comme dans le tome précédent, il ne s'en sert pas pour s'économiser en ne dessinant qu'une tête en train de parler au milieu de la case et rien d'autre. Il s'agit d'un parti pris esthétique pour donner une impression de grand angle cinématographique, de rehausser la sensation de spectacle. Quand la scène le dicte, il utilise d'autres découpages, toujours à base de cases rectangulaires sagement juxtaposées. Il peut arriver que le temps d'une page ou deux Quitely ne dessine pas de décors en arrière-plan dans ses cases, mais ça reste très minoritaire, et la mise en couleurs de Sunny Gho rappelle alors la couleur dominante du décor, établissant une continuité de lieu. Ce coloriste effectue un travail d'orfèvre, en phase avec la légèreté des dessins. Il utilise des teintes assez neutres, pour éviter d'ajouter un clinquant malvenu. Il joue sur les nuances pour souligner les reliefs de chaque surface, mais sans aller jusqu'à les sculpter, conservant ainsi la délicatesse du tracé des contours.

Comme dans le premier tome, Frank Quitely représente des individus avec des morphologies normales. L'ancienne génération dispose d'une musculature plus développée, sans être celle de culturistes. La nouvelle génération est plus élancée, semble plus naturelle. Pour accentuer encore la différence, l'ancienne génération de superhéros s'était confectionné des costumes, avec masque et cape, alors que la nouvelle utilise ses pouvoirs en habits civils décontractés, jean & teeshirt. Tous les protagonistes ont une prestance remarquable, un maintien élégant sans être maniéré. Les expressions des visages sont variées et parlantes, permettant au lecteur de se faire une bonne idée de l'état d'esprit de chaque personnage. Cependant le dessinateur a tendance à insister sur la dureté des visages masculins, en particulier quand ils ont la mâchoire crispée, et sur la douceur des visages féminins en particulier quand une femme éprouve de la compassion pour une autre personne.

En scénariste aguerri, Mark Millar fait en sorte de changer régulièrement de lieu pour donner quelque chose à représenter à l'artiste, et s'assurer que son récit conserve un attrait visuel. On peut même dire qu'il systématise ce procédé, en incluant des scènes à Singapour, à Berlin, à Londres, en Antarctique, au Brésil. En prime il mentionne lors de dialogues l'Afrique, la Chine, la Russie, pour faire bonne mesure. Frank Quitely a ainsi l'occasion de représenter ces endroits le temps d'une case, rarement plus. Il ne donne pas à voir un spectacle touristique, mais il inclut un ou deux détails qui attestent de l'information de lieu que donne la cellule de texte. Il réussit à représenter sur le même plan des séquences de nature très différente, d'une conversation banale dans le salon de George Hutchence, à des séquences d'affrontement physique titanesque, en passant par l'apparition d'une licorne mâtinée de joli poney aux couleurs improbables. Il réussit tout aussi bien à mettre en scène l'exercice de superpouvoirs fantastiques, que ce soit la capacité de Neutrino à voyager sur des particules subatomiques, ou les conséquences disruptives de l'usage du bâton de Hutch.

Le lecteur retrouve donc avec plaisir cette narration visuelle très élégante, sans être artificielle, ces personnages naturels, ces actions formidables. Il voit l'équipe de Chloe et Hutch se préparer à la grande bataille à venir, car ils ont décidé de renverser le despote en place. Leur plan est simple : réunir le plus possible d'individus dotés de superpouvoirs et affronter frontalement le dictateur et ses troupes. Pour se faire, ils vont chercher des personnes dotées de superpouvoirs qui se sont faites discrètes pour éviter d'être détectées et emprisonnées sur le champ. Ces prises de contact donnent lieu à des séquences étonnantes comme la recherche du père de Hutch, ou la libération de Repro. le scénariste met en oeuvre des superpouvoirs classiques, et reprend les manipulations mentales avec la plage vue dans le premier tome. Il s'amuse bien avec un jeu de renversements entre les illusions créées par 2 télépathes. Il joue sur l'aspect de petit garçon de Jason, le fils de Chloe et Hutch, et sur le fait que chaque personnage est susceptible de tomber au champ d'honneur, surprenant ainsi le lecteur.

De fait Mark Millar a donc abandonné la construction en saut du premier tome, pour se concentrer sur une phase décisive et ramassée dans le temps de l'évolution de la place des superhéros dans ce futur proche. Il mène à son terme la reprise en main des affaires par la deuxième et troisième génération, et cette saison se conclut de manière satisfaisante, même si la dernière page annonce une autre saison devant débuter en 2019. Pourtant le lecteur reste un peu sur sa faim. Jason a l'occasion de faire allusion à la manière dont la première génération a acquis ses pouvoirs sur une île en 1932, mais le scénariste n'en dit pas plus, laissant ce mystère entier. le premier tome avait mis en scène une confrontation de valeurs entre 2 générations. Ce deuxième tome poursuit dans ce sens, mais avec une conclusion qui laisse pantois, en réinstituant l'usage d'identité secrète et masquée, et en revenant globalement au statu quo précédent. Alors même qu'il a montré que l'apparition de superhéros avait bouleversé l'ordre mondial, Mark Millar conclut en les renvoyant à l'anonymat, et leur faisant dire qu'ils utiliseront leurs pouvoirs pour redresser les torts, sur la base de leur propre code morale, forcément infaillible. Après avoir raillé les règles implicites des comics de superhéros (ils ne s'attaquent jamais aux vrais problèmes, et leur présence ne change rien au cours de l'Histoire), il revient à ce statu quo bien pratique pour mettre en scène des personnages récurrents de fiction, comme s'il abandonnait toute velléité de commentaire social ou sociétal sur l'action par la force, et la justice masquée d'une poignée d'individus.

Le lecteur entame cette deuxième moitié de première saison avec confiance. Il retrouve les dessins personnels de Frank Quitely qui offre une narration visuelle délicate et sensible, bien complétés par la mise en couleurs de Sunny Gho. Par contre il découvre une intrigue des plus linéaires, avec quelques trouvailles, mais qui revient sur les rails des comics de superhéros basiques.
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