L'origine des mondes

J'ai eu l'occasion d'étudier votre Terre et j'en fus désolée pour vous, je ne sais pas comment vous arrivez à survivre dans un monde pareil.

–Dans… le monde… où tu es née… Éloïse… les cigarettes… n’ont jamais… existé.

Le lendemain, je me levai la bouche pâteuse et les cils collés. Mes lentilles me gênaient et j'avais un peu de mal à me réhabituer au fait que je ne me réveillais pas dans la chambre que j'avais connue toute ma vie. Mais au moment où je sautai du lit, la lumière se ralluma et le blanc lumineux me ramena à la réalité. J'étais dans un autre monde, qui m'était complètement inconnu.

Il repoussa mon bras et se leva d’un bond sans me quitter des yeux. Il ne voulait pas répondre j’en étais certaine. Au moment où j’avais commencé à parler de notre lien, son visage avait changé de couleur. Que me cachait-il ? Mais je n’eus pas le temps d’insister plus, le bruit d’une porte qui coulisse me fit sursauter et je me retournai vers elle.
Derrière nous, Raphaël se tenait dans l’encolure de la porte et nous foudroyait du regard.

Ça m’atteignit en pleine poitrine. Je lâchai la main de Martin, puis tous mes organes firent la fête et me donnèrent envie de vomir. Je crus tomber dans les pommes. J’ouvris la bouche, la refermai sans n’avoir rien dit, puis la rouvris et la refermai. Je remis une mèche imaginaire derrière mon oreille droite, je voulus mettre mes mains dans mes poches, mais mon pantalon trop serré par l’humidité m’en empêchait, j’abandonnai, je les mis sur mes fesses, pas trouvé meilleur endroit. Je sentis la lettre, maintenant trempée, mais je restai là figée, stupide, les yeux fixés sur Raphaël.

Je tenais fort la main de Martin dans la mienne, en espérant qu’elle disait vrai.
Nous courions comme des dératés. Ils nous suivaient depuis qu’ils avaient enfin remarqué que nous avions fui. C’étaient bien nous qu’ils cherchaient. Et n’avaient pas l’air d’avoir les meilleures intentions. Ils allaient beaucoup trop vite et gagnaient du terrain à chaque seconde. Il fallait que j’arrivasse à les semer avant de rejoindre la rivière. Les semer dans la ville qui m’avait vue grandir, en empruntant des raccourcis qu’eux ne connaissaient pas.

Je me repassais en boucle la courte scène que je venais de vivre. J’avais été en symbiose avec lui. Communiquer avec un animal avait été l’expérience la plus fascinante que j’avais eu à vivre de ma vie entière. J’avais ressenti ce qu’il avait ressenti et par la même occasion des sensations inconnues. Un instinct primitif, je ne sais pas, quelque chose que les langues n’avaient jamais pu décrire.
« Tu comprends l’intérêt de la télépathie maintenant ? »
Raphaël avait tout compris. Il m’avait fait venir ici pour que je sois moins égoïste. Et j’avais dépassé ses espérances. Tout me parut limpide à présent, notre rôle dans l’univers, notre travail ici.

On avait cambriolé mon cerveau.

C'est encore plus excitant quand c'est interdit.

On n'oublie jamais son premier amour.