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Critique de le_Bison


Je le vois entrer dans le pub, le regard triste, le sourire absent, l'air mort. Comme tous ceux qui entrent dans un pub avant midi. Je fais partie de ce lot-là, des âmes errantes qui ont perdu leur âme un jour, sans s'en rendre compte, ou justement si, avec raison. La vie bouge, elle est un flux et reflux d'envie et de désir qui s'échouent aux rivages de ta porte brinquebalante, comme la marée qui laisse son écume blanche avant de se retirer.

A l'intérieur, le ressort de l'horloge semble s'être cassé, au dessus de la glace miroitant un alignement presque géométrique de verres bus, un reste d'une mousse blanche s'étirant de toute sa langueur. de toute façon, dans la pénombre de ces lieux, l'heure n'importe peu, le temps n'a plus lieu, il est toujours l'heure d'une pinte, que cela soit la première ou la dernière pinte à Soho. La vie, là-bas, c'est cette adéquation entre l'ombre de la table et la lumière du comptoir. Une musique s'échappe d'une vieille platine, pour occuper le silence de ceux que ça dérange. Des êtres entrent, ressortent, se regardent ou baissent les yeux. de temps en temps un rire s'étale, des regards se tournent vers le sourire d'une femme, la porte des chiottes s'ouvrent et se referment.

J'essaye de me lever du comptoir, les fesses collés à ce tabouret depuis trop d'heures. Dehors, un soleil éblouissant, une pluie battante, une brume fumeuse. A l'intérieur, il n'y a plus de temps. A l'extérieur, la météo londonienne n'intéresse guère. Peu importe les guerres dans le monde, ici une autre bataille semble se jouer. Certains espèrent un nouveau blitz, pour raser ce quartier, en faire un truc plus cossu, plus branché. D'autres se rasent la chatte, histoire de plaire à ces vieux clients, qui oscillent entre pubs et bordels, les deux mamelles de leur triste existence.

Remontant mon caleçon, boutonnant mon jean, le regard absent, la queue misérable, j'enfile ma vieille paire de baskets et retourne à mes navigations solitaires, un autre pub, d'autres types. A l'ombre des réverbères se distillent des portraits attachants, éclairant ces âmes errantes, ces combats perdus contre la vie, contre l'argent, contre l'amour. de nouvelles bières à partager, dans la solitude d'un lieu, comme une dernière nuit à Soho. La serveuse me ramène une nouvelle pinte, la première ou la dernière. Quand la soirée s'approchera de la lune, elle me déposera un verre d'Aberlour et je repenserai encore à tous ces hommes, ces femmes qui gravitent encore dans ce quartier. On n'oublie pas son dernier verre à Soho.
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