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Critique de le-bibliomane


Des champs de maïs à perte de vue. Une bicoque en bois posée entre une gravière et la voie ferrée.
C'est ici que vivent les Cavanaugh, dans ce coin perdu de l'Iowa.
Il y a d'abord le chef de famille : Big Duck Cavanaugh, alcoolique faux prêcheur et véritable escroc, puis sa femme, Flaherty, surnommée Flat (« la Plate », ce qui correspond à son physique sans reliefs), à demi-folle, constamment assise devant son piano à réciter et chanter des psaumes bibliques.
Il y a aussi Letitia, d'origine Sioux, autrement appelée Tit ( ce qui en argot américain signifie « nichons », surnom qui convient lui aussi à son physique généreux de croqueuse d'hommes). Tit est officiellement représentante pour les produits Vita-Life et s'adonne, à ses heures perdues, à la prostitution. Elle est la concubine de Big Duck qui ne voit aucun inconvénient à voir cohabiter sous le même toit sa femme et sa maîtresse.
Puis viennent les enfants. Douglas Cavanaugh Junior, l'aîné, dit Little Duck, qui, malgré son nom n'est pas le fils de Big Duck mais l'enfant qu'a eu Tit avec un célèbre évangéliste itinérant.
Ensuite vient Jima, qui est la fille de Big Duck et de Flaherty, une enfant qui avoue dès son plus jeune âge un penchant précoce pour l'alcool.
Puis, en tout dernier, Crane, la narratrice de cette histoire, (dont le nom en Sioux désigne la grue, oiseau migrateur). Crane est née défigurée, sa mère ayant décidé de s'en débarrasser avant sa naissance. Elle n'est pas, elle non plus, la fille de Big Duck, mais le fruit des étreintes de Tit avec un pharmacien de la région.
Nous sommes dans les années 1950. Les enfants Cavanaugh sont livrés à eux-mêmes. Ils ne connaissent pas le chemin de l'école et sont perpétuellement sous-alimentés. Tit, qui assure – grâce à son activité de représentante et de prostituée – la survie de la maisonnée, les gave, pour tout repas, de pilules vitaminées Vita-Life afin de les maintenir dans une relative bonne santé.
Pour seule distraction, les enfants n'ont que le spectacle du passage du train de marchandises de 21h49 reliant Chicago à Kansas City. Assis au bord de la voie ferrée, ils regardent quotidiennement défiler l'interminable convoi chargé de charbon, de céréales, de bois et de papier. le reste du temps, ils le passent à contempler l'océan de maïs qui les entoure, suivant au fil des saisons les phases de la culture céréalière, les labours, les semailles, l'épandage d'engrais et de désherbants toxiques, et en dernier lieu, la moisson.
Puis, un jour, un autre divertissement s'offre à eux : un homme vient de racheter la gravière. Plus précisément, il l'a gagnée au poker. le perdant, un vieil ivrogne, lui a cédé la propriété de la carrière. Mais s'il est ici, ce nouveau propriétaire, ce n'est pas pour exploiter une carrière de graviers. Ayant appris que le sous-sol recélait des sources, il décide de créer un lac en lieu et place de l'ancienne exploitation et d'y implanter des poissons afin d'attirer les pêcheurs amateurs de la région.
Et c'est un succès ! Très vite, les pêcheurs arrivent sur les rives du lac et celui-ci se couvre peu à peu de barques et de canots à moteur. Fanelli, le propriétaire, ne compte pas en rester là. Il monte un quai et installe une boutique d'articles de pêche qui peu à peu deviendra un bar, puis un grill.
Fanelli va aussi construire un lotissement de trente-cinq maisons autour du lac désormais baptisé Lake Mary, en souvenir du prénom de sa mère.
Les berges du lac vont peu à peu se peupler de nouveaux arrivants, pour la plupart membres de la classe moyenne. Sous leurs fenêtres, le lac, mais aussi la bicoque des Cavanaugh, posée comme une verrue sur ce paysage enchanteur.
Les années passent, et un jour, Tit, puis Big Duck disparaissent, en quête d'autres horizons, abandonnant les enfants aux mains de cette pauvre folle de Flat qui, ne se remettant pas du départ de Big Duck, se terre maintenant sous son lit et récite à longueur de journée l'Apocalypse de Saint Jean.
Puis arrive l'inéluctable. Les services sociaux du comté, alertés par les habitants de Lake Mary, viennent chercher les enfants Cavanaugh. Little Duck, qui travaille déjà, échappe au placement, mais ses deux soeurs sont séparées. Jima est placée dans un foyer pour jeunes filles « en détresse ».
Crane, elle, est envoyée chez les religieuses d'où elle ressortira quelques temps plus tard suite à son adoption par Ollie et Ray Hopkins, un couple qui a récemment emménagé...à Lake Mary. Les habitants vont-ils reconnaître, après toutes ces années, la gamine au visage déformé, « le monstre du bout du lac » ? Mais la fille des Cavanaugh a changé depuis tout ce temps, elle a appris à lire, à écrire, et s'avère être une brillante élève, surtout dans le domaine des sciences, et en particulier dans l'étude de la vie sociale des fourmis.
Elle retrouvera pourtant au bord du lac les souvenirs d'autrefois, en se promenant aux abords de la bicoque de ses jeunes années, aujourd'hui démolie. Elle retrouvera aussi Jump, l'adolescent abruti et pervers pour qui elle éprouve une curieuse attirance.
Une nouvelle vie a commencé pour Crane, entourée de l'affection débordante (et souvent maladroite) d'Ollie, qui tient à ce que sa « Princesse » s'intègre au sein de la communauté des habitants de Lake Mary. Mais la jeune fille taciturne ne se laisse pas abuser par les tentatives répétées et malhabiles d'Ollie qui veut à toute force lui trouver des ami(e)s, et lui dégotter le prince charmant afin de la faire accéder au pinacle de ce qu'elle pense être la réussite sociale : une épouse et mère au foyer, évoluant en tenue élégante au milieu d'appareils électro-ménagers ultra-modernes, image du fantasme de la femme des années 1950.
Mais Crane – même si elle se prête avec indulgence aux lubies d'Ollie – a bien d'autres préoccupations : les fourmis bien sûr, mais aussi retrouver un jour Little Duck et Jima...

Le roman de Lucia Nevaï, malgré les apparences, n'est pas de ces histoires sordides et misérabilistes qui font pleurer dans les chaumières. Bien au contraire, cet ouvrage nous offre un portrait tendre et amusé de cette classe moyenne des années 1950, soucieuse du qu'en-dira-t-on, et appliquée à paraître aux yeux du voisinage comme l'exemple de la famille idéale, et aux yeux du monde comme l'image de la réussite du système social américain, alors considéré comme la panacée du monde occidental. Pourtant – l'auteur ne manque de nous le rappeler dès les premières pages – la misère est là, dissimulée derrière cette façade clinquante de lotissements flambants neufs. La misère est là, chez ceux qui n'ont pas voulu – ou tout simplement pas pu – accepter ce modèle conformiste : marginaux de toutes espèces, handicapés, malades mentaux, alcooliques...tous ceux qui ne renvoient pas à la société une image dont elle puisse se glorifier. Crane, dont on connaît les les premières années difficiles, va pourtant faire voler en éclats cette image lisse d'une Amérique ronronnante. Remarquablement intelligente, elle va, par exemple, surpasser de loin les enfants de bonne famille de son entourage qui s'avèrent sans exception être d'éminents crétins. Car Crane, au contraire de nombre de ses contemporains, a bien compris une chose essentielle : mieux vaut être que paraître.
Quant à sa décision, prise subitement alors qu'elle se dirige vers l'autel en vue de son mariage, je vous laisse la découvrir. Il vous faudra pour cela découvrir par vous-même comment les fourmis lui ont sauvé la vie...

Lien : http://lebibliomane.blogspot..
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