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Critique de candlemas


Une lecture qui dérange... du moins ce fut le cas pour moi ; et c'est ce qui fait l'intérêt de le lire, et l'intérêt de cette critique, sûrement difficile puisque... je n'ai peut-être pas tout compris...
Cela faisait longtemps que je l'avais dans bibliothèque, et j'hésitais à l'ouvrir, en raison de ses interprétations posthumes plus ou moins sulfureuses.
Pour commencer, je dirais qu'il est -comme souvent- bien dommage que les éditeurs oublient d'afficher le sous-titre : "un livre pour tous et pour personne".
En effet, dans la forme, "Ainsi parlait Zarathoustra", se démarque radicalement d'un ouvrage de philosophie, du modèle kantien par exemple. Il se présente sous la forme d'un long poème, presque romantique -puisque "je" semble nous livrer, que dis-je, nous balancer à la figure, nous vomir ses états d'âme et sa révolte contre l'inaction et les valeurs établies. Quant à l'expression poétique, je partage le sentiment d'illustres lecteurs avant moi -Heidegger, Gide- : certains passages sont magnifiques, dans leur élévation de l'Homme et de la Volonté -me faisant penser, sur un même mode "messianique" aux poèmes d'Homère ou à Citadelle de Saint Ex- d'autres sont carrément insipides... la référence biblique est de ce point de vue réussie.
"Un livre pour tous et pour personne" en effet : personne d'autre que l'auteur, me semble-t-il , ne peut se reconnaître complètement dans ce "je", et pourtant le livre s'adresse à tous...
Non sans humour, Nietzsche nous somme en quelque sorte d'ouvrir les yeux et de suivre ses aphorismes et préceptes, qu'il met dans la bouche de Zarathoustra -que je crois finalement beaucoup plus proche du christianisme que l'auteur- , de nous laisser évangéliser par lui, de le suivre sur la voie des surhommes...
Le choix de cette approche philosophique enlevée, romancée, qui touche au coeur et au corps, à la psyché plutôt qu'à une raison aristotélicienne ou kantienne, est remarquable par son audace mais -rétrospectivement- remarquablement dangereuse aussi, le lion de Nietzsche pouvant aisément dévorer l'esprit des imbéciles se contentant de survoler le livre et croyant avoir tout compris parce qu'il leur renvoie en positif leurs propres névroses...
"Celui qui écrit en aphorismes et avec du sang, celui-là ne veut pas être lu, mais appris par coeur", est-il écrit dans le livre même.
Au final, car cet ouvrage reste bien malgré sa forme originale, un ouvrage de philosophie, est ce que Nietzsche m'a fait adhérer à ses thèses ? NON, la violence, la radicalité, la flagellation autodestructrice, jusque dans la forme, ne peut tenter l'hédoniste humaniste mâtiné de mystique que je suis, admirateur d'Aristote, Montaigne, Comte-Sponville,et du bouddhisme -dans lequel il puise rationalisme, impermanence, mais remplace le diptyque vacuité -compassion par une espèce d'exaltation de la souffrance humaine dans une ascèse personnelle et la volonté de dépassement de soi...
En revanche la radicalité comme questionnement de toute morale et recherche d'un "supplément d'âme" est intéressante... ouvrant la voie d'une forme de nihilisme, il détruit des concepts anciens, pour proposer le sien -qui me parait fragile- mais, ce faisant, a ouvert la voie à d'autres pensées plus construites, telles que l'existentialisme, le déconstructivisme et le multiculturalisme -en cousinant avec Lévi-Strauss et Freud-, jusqu'à la pensée sociologique de Bourdieu. Il ouvre une voie nouvelle de relativisation et désacralisation des dichotomies de la philosophie classique sur le bien et le mal et, ce faisant, rend mieux compte de la complexité de l'homme et du monde dans lequel il évolue.
Cependant, ces poursuites, après Nietzsche, ne me semblent pas parvenir à proposer un système qui parle à l'être, comme l'a dit Heidegger ; autrement dit -cette fois par moi-, ces approches améliorent encore la compréhension de l'homme par lui-même, mais ne l'aident pas à vivre... ce en quoi je préfère donc le retour aux anciens, tel Marcel Conche.
Bref, un lecture contournable, qui élève par ses questionnements, mais dérange, par l'abîme qu'elle ouvre sous les pieds de l'humain, ne lançant pour poursuivre qu'une passerelle bien fragile et branlante...


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