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Critique de SZRAMOWO


La viande des chiens, le sang des loups
Un roman étrange mais attachant, une écriture originale et recherchée. Un polar ? Oui, peut-être. Un roman fantastique, là encore, peut-être. Un livre qui mérite d'être lu, oui, certainement. L'auteur s'aventure pour la première fois dans la veine noir (dixit la 4ème de couverture), et pour son premier a réussi à créer une oeuvre à nulle autre pareille, qui mêle dans un récit imaginaire les angoisses, les doutes et les interrogations de deux êtres qui se cherchent, ne se trouvent pas et continuent à errer dans leur mal-être quotidien, toujours aussi morose en dépit des aventures extraordinaires qu'ils vivent.
Cette opposition constante est le ressort principal du roman et fait tout son intérêt.
Après la guerre 1914-1918, un homme amnésique est hospitalisé, de lui on ne connait que les lettres qu'il a écrites, sans jamais les envoyer, à une certaine Jeannette, où il parle de la maison.
« — Son oeil saigne toujours un peu. Les docteurs disent que c'est par là qu'il a reçu le coup de stylet, ou d'épingle. Dans l'orbite, sous le globe, en remontant par… — Les détails, pas avec moi. — Bien sûr. Excusez-moi. — Bon. Je vais demander les papiers pour le faire interner. Il aura au moins un toit. Ce ne sera pas le premier qui rentrera de la guerre sans jamais revoir sa maison. »
De nos jours, un romancier en panne d'inspiration. Seul à la campagne. Isolé. En rentrant du village, il trouve un braqueur dans sa maison, accompagné d'une jeune fille. le braqueur se suicide avec son arme.
Le soir, après le passage des gendarmes auxquels il a menti, le narrateur est obsédé par la jeune fille :
« Je me suis retourné, et mon sommier a râlé. J'ai repensé à la fille, à la couleur qu'auraient ses cheveux dans la lumière de la lune. Froids. Ils seraient froids. Elle était blonde mais pas blonde comme à la télé. J'ai cherché. Et puis j'ai trouvé ; c'était pas du blond doré, du roux pâle. C'était cendré, presque mat. Je me suis rappelé ses yeux, aussi. Ça me faisait pas de bien d'y penser, alors j'ai hésité, parce qu'il faisait froid et que j'étais en calbute, mais je me suis levé. »
Ecriture très personnelle. Misha Halden traite du rapport entre la réalité des romans et la réalité tout court, la vraie, celle qui vous englue un peu plus chaque jour. En un mot, elle traite de la création littéraire en choisissant pour héros un écrivain en mal de devenir.
Ce qui arrive au narrateur est une sorte de malédiction. La réalité qu'il voudrait décrire dans ses romans, la plupart du temps refusés par les éditeurs : « Pas notre ligne éditoriale », « beaucoup d'intérêt, mais… », « un travail prometteur mais pas encore mûr », « c'est tellement à chier qu'on a chopé un cancer des yeux » ; va faire irruption dans sa réalité grisâtre et solitaire : « Et une des raisons pour lesquelles on peut pas dire que j'ai une vie sociale trépidante. Moi, y a jamais personne sur mon canapé. »
Dans l'adversité, ils se présentent :
« — Moi, c'est Rory »
« Lupa.
— Tu t'appelles Lupa ?
— Ouais. »
Le récit, et c'est là son originalité, emprunte la progression de la pensée de Rory. Façon tempête sous un crâne. Il se confesse lui-même et nous en fait profiter. Il trouve dans sa façon de faire la meilleure idée de récit qu'il n'ait jamais eue. Il devient le héros de son histoire. Son détachement devant les ennuis qui arrivent nous enchante, la distance qu'il prend avec la cruauté de ses bourreaux fait notre admiration. Rory l'écrivain raté est devenu personnage du livre qu'il n'écrira jamais et que, pourtant, nous sommes en train de lire.
Misha Halden fait preuve d'inventivité dans la narration, de recherche dans l'expression et le vocabulaire d'un Rory en quête de lui-même, en quête de l'amour, avec un grand A diraient nos grand-mères, passant son temps à se complaire dans sa mouise et sa misère sexuelle :
« Toutes ces gueules pincées, ces airs d'avoir envie d'être ailleurs, ces grimaces genre votre bite a un goût. »
« La fille sentait le cheval, le poil et la sueur, un truc qui prend à la gorge et à la bite, faut être honnête, une odeur de dessous de bras quand on baise depuis trop longtemps pour encore tout piger ce qu'on fait »
« J'ai préféré pas vocaliser où en était ma bite, pas avec cette voix dans l'oreille, ce souffle dans mon cou, cette obscurité de première nuit de baise. »
« Se faire à son rythme. Penser à quelqu'un d'autre pour que ta bite arrête de bander. »
« La première fois que je l'avais vue, elle dépotait, je lui aurais déposé ma bite sur un billot pour qu'elle marche dessus. »
« On aurait dit une pute qui faisait l'aumône d'une pipe, une bouffarde de pitié à un type paumé. Aucune passion. »
« de relations sordides en coups de queue au fond de chiottes qui sentent la bière. »
« Elle avait le sourire d'un chien battu quand il a échappé à sa rouste. du vice servile, de la trouille et de la fierté, le tout mélangé comme dans un seau à merde. »
Le destin de Rory et Lupa sont liés, malgré eux. A cause d'elle, ils sont maintenant tous les deux en butte à une bande de malades, une secte ou quelque chose d'approchant. Et Rory va déguster !
Avant que le ciel ne lui tombe sur la tête, il se dit :
« J'avais rien contre le fait d'être battu, j'ai l'habitude. Je suis né loser. »
Il compose, tergiverse, fait l'imbécile : « J'ai dit ça avec la voix d'un ado qui tente de repousser les seins lourds qu'une stripteaseuse lui a collés sur le museau. »
Le sexe est le plus sûr moteur de Rory. Il endure les pires souffrances : « Tout ça dans l'espoir de la baiser, putain. Coupure. Net. Encore. »
Duo classique entre Lupa et Rory. Gagner l'amour de Lupa passe par la souffrance et si Rory y survit, peut-être obtiendra-t-il la rédemption et redeviendra-t-il un homme nouveau. A condition que Lupa soit sincère. Mais, Rory croit tellement en elle, qu'il a exclu d'emblée qu'elle puisse mentir…
Poursuivons. Rory est aux mains de ses bourreaux.
Au-delà des souffrances qu'il endure, sa solitude est ce qui le pèse le plus. Solitude dont il comprendra au cours du récit qu'elle n'est rien comparé à celle du vieux » qu'il rencontre
« J'ai rien dit. Il était perdu dans sa sagesse et ses souvenirs, très haut, quelque part où ces mots avaient un sens verni, patiné par le temps passé depuis qu'il les avait compris. Moi, moi je repensais à ces ventres dans lesquels j'étais entré, dans lesquels j'avais bougé, sans rien laisser de plus qu'une faim inassouvie et un désir froissé. J'ai pas demandé où était sa femme, parce qu'elle était morte. Elle était morte, et lui et elle s'étaient aimés comme jamais j'avais su aimer personne. »
« Les femmes l'avaient jamais fait. Et mes enfants étaient des taches sur mes draps. Sous la couette, mes couilles se sont changées en pierre ponce. Grises et connes. »
Deux chemins de vie, Lupa a cherché chez d'autres à trouver ce qu'elle était incapable de trouver en elle, Rory cherche en lui ce qu'il n'arrive pas à trouver chez les autres.
« J'avais pas voulu l'écouter, surtout, mon enfant-fée, j'avais pas voulu entendre que je me cherchais moi, moi seul, dans le regard de l'autre, parce que j'étais pas complet, parce que j'avais peur de cette moitié de tête vide et hantée par le vent froid qui y soufflait. J'avais fui l'écho de ses paroles. J'avais refusé son dernier cadeau ; apprendre que nous sommes tous des enfants-fées, que nous sommes tous seuls, et que nous avons presque tous peur. »
En continuant à lire, Misha Halden, une phrase me vient : C'est beau ! On a envie de lire et relire ces phrases, de se les faire à jamais entrer dans la tête.
Désespéré, Rory décide d'oublier Lupa, mais : « Je l'espérais comme une petite pucelle espère sa première cartouche, les mains aussi moites que la culotte. Et quand Lupa a entrouvert la porte, mon ventre et ce qui se trouve en dessous m'ont surtout fait comprendre que j'en étais pas guéri du tout. »
Son désir de Lupa ne le fait pas changer, il est instable, multiplie les gaffes jusqu'à blesser Lupa, ce dont il ne voulait à aucun prix.
Et alors, me direz-vous, et notre blessé de la grande guerre, qu'en est-il advenu ?
Petits curieux…vous n'avez qu'à lire ce roman. Vous ne le regretterez pas.
Finalement, La viande des chiens, le sang des loups est une histoire d'amour. L'éternelle histoire de l'amoureux qui attend sa bien-aimée. Qui l'attend en dépit de tout ce qui peut lui arriver pour le punir de rechercher l'amour, le vrai, dans une société où « … sous la viande des chiens bat encore le sang des loups. »
« Parce que, si elle vient, je ferai quoi ? Je ferai quoi, puisque j'ai toujours cru que baiser voulait tout dire, que les seules relations étaient du drame et de la souffrance ? Moi qui ai toujours cru qu'on doit mépriser les gens qu'on aime. Je ferai quoi, si elle vient ? Je ferai quoi. Et pire, si elle revient pas ? Je ferai quoi si elle revient pas ? »






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