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Critique de EtienneBernardLivres


Une lourde faute est commise par la baronne et veuve Mme Berthe de Falgoart : on la soupçonne d'entretenir des relations avec un simple clerc de notaire !… Par quelle faiblesse a-t-elle pu céder ainsi ? Les barrières de l'honneur et de l'orgueil se sont ébréchées face à la ténacité et la patience de M. Théodore Verdier, le clerc.
La fatalité attachée à cette faute est irréversible : la baronne est répudiée par ses pairs, son entourage :

« Comme toutes les femmes qui pèchent par ennui, Mme de Falgoart ne tarda pas à se repentir amèrement. Un instant elle eut envie de chasser le clerc, mais elle n'était pas assez forte pour prendre une résolution si simple.
Humiliée de sa chute banale, honteuse de l'homme avec lequel elle était entrée dans le mal, n'osant pas se défaire du vulgaire larron qui avait pénétré dans son coeur à l'aide d'une fausse clef, la baronne Berthe prit le parti qu'adoptent les natures faibles, elle se mentit à elle-même. Pour ennoblir sa faute, elle chercha à l'encadrer dans une grande passion. »

Les maladroites tentatives de réhabilitation de sa notoriété publique aggravent son cas.
Mais la considération, la renommée se perd aussi facilement qu'elle se gagne et se récupère, par des manières parfois insignifiantes, stupides ou absurdes.
L'une de ses hypocrites amies réapparaît, sans scrupule et gonflée d'audace, et la supplie de combler les dettes d'argent de son frère qui menace de se suicider.
Berthe, tout aussi hypocrite, accepte dans l'idée de renouer les liens avec le grand monde et cela fonctionne… « Le rapprochement se fit sans embarras et sans secousse comme s'ils l'eussent quittée la veille ; tous ces gens, hommes et femmes, qui avaient affecté un mépris profond pour elle, lui vinrent faire la cour. »

Le clerc est même officiellement intégré à la cour. Mordu par l'ambition et récompensé par la chance en bourse, il s'est considérablement enrichi en plaçant les fonds de la baronne. Sa fortune blanchit donc naturellement, en partie, son origine :

« Le monde de Verdier avait, à de certains jours, le droit de fusionner avec la petite noblesse que recevait la baronne Berthe. D'abord la noblesse cria beaucoup, puis elle finit par emprunter quelques billets de banque à ces chevaliers de la corbeille »

Il ne lui fallait plus, pour rompre l'ennui et la monotonie des salons, qu'un compagnon, une présence fidèle, un animal domestique.
Le baronne se remémore qu'elle est marraine d'une misérable petite fille des champs et qu'il serait original et de bon goût d'arracher sa filleule afin de l'exposer au grand public, l'éduquer, l'habiller comme sa propre poupée.
Ainsi fait, la petite Madeleine surprend : elle a plus d'esprit qu'on ne le pensait, est ravissante et se moule parfaitement au grand monde.
Désormais, cette nouvelle concurrente est enviée et l'on menace la baronne de quitter ses salons si la nouvelle et jeune figurante persiste à s'y trouver.
La mère adoptive, plaçant sa cour et sa petite noblesse au-dessus de toute autre affection, abaisse subitement sa filleule au rang de domestique sans explication, la réprimande de paroles dures et sèches, d'ordres divers et l'incite à quitter le foyer, lui offre un mariage avec un coiffeur…
Madeleine résiste longtemps, elle demeure candide, docile mais récolte invariablement la même haine, quand bien même ferait-elle des compliments :
« (…) toutes ces choses vous vont admirablement; je vous assure, vous êtes très-belle. Et d'ailleurs, n'eussiez-vous rien de toutes ces belles parures, vous plairiez de même, car vous êtes très-belle vraiment, et tous ceux qui vous voient vous admirent.
-Je n'ai pas besoin de tes réflexions, dit la baronne, agrafe ma robe et tâche d'être adroite, ce qui ne t'arrive pas souvent »

Madeleine précipite sa chute en se laissant séduire par un officier. le bruit court, le scandale opère, et la voici humiliée unanimement, tout le monde se contente de cette banalité afin de la répudier, et même le fils de la baronne, de l'âge de la filleule, qui la traitait auparavant à l'égale d'une soeur, la dénigre à son tour.

Un soir, après une énième scène d'humiliation, Monsieur Verdier, l'ex-clerc devenu agent de change et millionnaire, réconforte la jeune fille, lui promet une indépendance, l'acquisition d'un appartement, des rentes… Une liberté absolue en contrepartie d'une nuit avec elle. Madeleine est souillée mais sort de cet enfer.

De là s'opère un double revirement : un associé de bourse de Monsieur Verdier se venge et révèle ses abus et manipulations de cours ; le couple est ruiné et Monsieur Verdier emprisonné ; et Madeleine, qui était si pure, se corrompt en devenant une notoriété publique suite au procès où elle est intervenue en tant que témoin.
Madeleine reçoit des lettres d'amant de toute part et en véritable femme de mode, sélectionne en toute insolence les plus riches : « L'hôtel a-t-il un jardin ? » répond-elle à une lettre d'un banquier étalant sa richesse.
La presse révèle ses correspondances, Paris tout entier l'étiquette en « femme entretenue » sans honneur.

Madeleine tente de se redresser, implore toutes les mains, affiche sa bonté, mais vainement… L'auteur lui fait subir une longue et irréversible expiation : toutes les fois qu'elle fait un acte de charité, les mains tendues se rétractent au contact du vice.
Vient-elle en aide à une jeune fille misérable, cette dernière prend la fuite quand ses parents lui disent de ne rien recevoir d'elle ; donne-t-elle de l'argent à un artiste de génie sans un sou, ce dernier restitue l'argent quand sa voisine lui fait connaître ce qu'est Madeleine.
Elle s'épuise à rechercher une compagnie quelconque : « — Enfin, pensait-elle, me voici en face d'une créature plus misérable, plus souillée, plus avilie, plus malheureuse que moi; celle-ci, au moins, ne me méprisera pas. » Et tous ceux qui la rencontrent, même la plus misérable jeune fille égarée, la jugent…

Elle rappelle un à un ses amants qui tous refusent de s'établir avec elle. L'un d'eux s'explique, l'union serait : « incompatible avec l'honneur et la délicatesse, qui sont les plus beaux fleurons qu'on puisse posséder »

Sa famille natale la méprise également : son frère, épicier, la reconduit poliment à la porte : « tu comprends, avec ta voilure, ta belle toilette et tes domestiques, si les voisins savaient que tu es ma soeur, ça ferait des cancans dans le quartier, les gens sont si méchants. »

Elle se présente en pleine détresse à sa mère, retourne en sa province, implore sa pitié, son pardon et ne reçoit que de l'indifférence, de la désapprobation.

Dernière et ultime consolation, Madeleine est reconnue par son chien qui lui saute au coup. Elle pleure des larmes de joie : enfin !… Un être compatissant, bienveillant ! Mais au moment où le chien renifle l'élégant parfum parisien de Madeleine, il s'en éloigne avec dégoût. Madeleine s'écrie : « — Oh ! lui aussi, un chien ! Et elle pleura amèrement. »

L'auteur dégrade et mutile lentement ses proies : d'abord la baronne puis la jeune fille de province. Obnubilées par le paraître et fatalement châtiées...

Ce qui m'échappe est la lourdeur de l'expiation de Madeleine : tout est démesuré, le moindre mendiant, porteur d'eau, vendeur d'allumettes reconnait la jeune fille en lui prêtant sans douter une réputation de femme légère et deshonorable ; rejette encore la plus petite pièce donnée de sa main, comme si la ville entière était d'une impeccable pureté ou qu'une flétrissure très apparente marquait son visage.
Rien ne réhabilite enfin la pauvre Madeleine auquel le sort s'acharne avec une exceptionnelle cruauté, les traumatismes ou blessures de sa vie ne tempèrent nullement la manière dont elle est sanctionnée.

La morale semble si raide et si sévère que l'on se demande si il n'y a pas là une caricature… Cela devait très certainement ne pas outrager ni même égratigner les bonnes moeurs de l'époque… A cette rigidité se trouve des mots charmants, quelques dialogues spontanées et une excellente fluidité de lecture. Il y a également un passage plutôt original et savoureux où l'esprit de la baronne est torturé de remords et de contradictions quant à sa filleule :

« — Je ne la chasse point. Je la rends à ses parents.
— Pourquoi l'avoir prise ?
— Ah ! je m'en repents bien.
— Ce n'est point répondre. Un jour, par caprice, pour jouer à la bonté aux yeux de ton amant, qui est un sot, et de ton monde, qui est méchant, tu as été arracher cette pauvre enfant, qui vivait dans ses champs comme une fleur, sans savoir pourquoi. Maintenant ton caprice est passé, tu la chasses.
— C'est pour son bien.
— Tu mens, c'est par jalousie. (…) »
Tu hais cette jeune fille parce qu'elle a dix-huit ans, parce que sa voix est plus douce que ta tienne ; tu es jalouse de sa main, de ses dents, tu es jalouse de la placidité de son âme éveillée. (...)"
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