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Critique de Tempsdelecture


Le titre croate de la rentrée, déjà loin derrière nous, c'est celui de l'auteur Kristian Novak, édité par Les Argonautes, seconde publication de la rentrée littéraire, et traduit par Chloé Billon, qui vient de recevoir le Grand Prix de la Traduction de la ville d'Arles pour La Renarde de Dubravka Ugrešić. du titre, je n'ai lu que des avis positifs, des libraires et journalistes, blogueurs et bookstagrammers, tous en choeur. Il s'agit du deuxième titre de Kristian Novak, celui qui lui vaut une reconnaissance nationale et internationale, puisqu'il a été lauréat du Dublin Literary Award 2021, il a depuis été adapté au théâtre dans sa langue originale à Zagreb. L'adaptation a également reçu une multitude de récompenses et a redonné un nouveau souffle à la jeune scène Zagreboise.


Le cadre qu'a choisi Kristian Novak est celui de Međimurje, là même ses propres origines, la pointe nord de la Croatie, à la frontière de la Slovénie et de la Hongrie, région natale de son personnage Matija, qui vit désormais dans la capitale. Matija est l'auteur d'un premier roman à succès, mais le manuscrit du roman suivant ne plaît à personne. Depuis sa séparation avec sa compagne Dina, il a en effet perdu l'inspiration, et pour tout dire sa joie de vivre, et ce sont les causes mêmes de la séparation qui vont l'entraîner dans les méandres de sa mémoire qui a consciencieusement mis un voile de plomb sur son passé et les souvenirs qu'il en garde. La première partie du roman est dévolue à la vie actuelle de Matija tandis que les trois autres parties s'épanchent sur ce passé trouble en Međimurje. Une enfance marquée par le deuil paternel, impossible à faire pour le jeune garçon qu'il était, un deuil pathologique qui va l'entraîner sur une voie dont il peine ou refuse à se souvenir.

La voie du mensonge, du refuge dans une imagination va le pousser à faire des choses terribles pour faire revenir le père mort, dont le corps a été avalé par cette terre maternelle noire, source de tous les malheurs. Toute une période sombre de faits qu'il a soigneusement refoulés, mis en dessin sur des feuilles qui vont finir dans les limbes d'un classeur, à défaut d'avoir pu faire le deuil de ce père disparu. La première partie instaure parfaitement le suspense à venir, attisant la curiosité du lecteur sur le passé de Matija et le traumatisme qui semble avoir été le sien, préambule des autres parties : nous voilà plongés dans la vie d'un petit village croate, entre Mura et Drave, un petit coin du nord du pays qui possède sa propre mythologie, celle d'une terre nourricière, souillée ensuite par des hordes de sauvages étrangers, et qui donne son nom à un bras de la Mura, Triste mère Mura. Et autour de la Mura, une terre noire, celle qui a englouti le corps du père de Matija, une terre animée, avec ses propres fantômes et esprits qui hantent Matija, comme tous ceux qui se sont donné la mort les uns après les autres. Une terre devenue presque maudite, que la famille a fui, que Matija a fait en sorte de faire disparaître dans un coin de sa tête.

Matija le narrateur, jeune, nous entraîne dans les tréfonds de son esprit de jeune orphelin de cinq ans qui vient de perdre son père, en automne 1988, un tout jeune esprit qui pour compenser l'absence et le manque du père se fabrique sa propre mythologie à partir des légendes et du folklore de cette vallée de la Međimurje, entre deux fleuves, comme elle est entre deux monde, à mi-chemin entre la réalité, et le monde des terribles follets, du moins dans la tête du jeune Matija. Un mélange des folklores adultes, y compris les croyances catholiques, et de l'imagination enfantine qui y prend ses racines, y puise sa source dans l'eau pour développer sa propre fantasmagorie qui va l'amener jusqu'aux confins du bien et du mal. L'envoûtement qu'exerce cette terre nous apparaît de plus en plus maléfique, le mensonge, qui une fois adulte prendra une forme compulsive et maladive, est devenu le seul recours au Matija adulte d'assumer cette incompréhension de ces événements, de cette part d'enfance endeuillée qui a tourné au chemin de croix pour Matija, privé d'inspiration une fois devenu adulte.

C'est un roman à première vue un peu sibyllin que nous offre l'auteur croate, qui demande une lecture attentive pour tenter de comprendre la réalité de cette Terre, mère noire. Mais un récit très fin et qui célèbre ses terres croates, aux confins de pays étrangers, d'influences étrangères, à travers l'imagination vierge d'un enfant qui ne sait ni lire et écrire, et épris du folklore des adultes qu'il interprète à sa sauce. Qui a creusé un gouffre dans l'histoire du jeune Matija, une ombre, un creux, du vide, tapis profondément en lui, les dernières traces indélébiles de son traumatisme de la perte paternelle et que l'auteur a choisi de traduire très poétiquement et très âprement par la danse un poil macabre de ces follets issus de cette forêt, cette rivière, cette terre, noires. C'est un roman qui s'apprivoise lentement, au coeur de Međimurje, et poétiquement servi par la traduction impeccable de Chloé Billon.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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