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Critique de Unity


Les théories sauvages est un livre compliqué, difficile d'approche. Universitaire avant d'être écrivain, Pola Oloixarac hésite sans cesse entre le roman et l'essai philosophique. D'un côté, un couple de nerds très intelligents et très laids, une jeune fille (K.) qui se laisse emporter dans une perversion sexuelle de plus en plus glauque, un jeune homme frustré (Pabst) que la société blase terriblement, de l'autre, l'étudiante en philosophie alter-ego de l'auteur qui essaye de développer les recherches de l'un de ses enseignants sur un penseur oublié – et inventé.
Les références pleuvent à toutes les pages. Une personne qui n'a aucune base en philosophie peut d'ores et déjà passer son chemin, le titre ne s'adresse pas à elle… Avant d'entrer plus en détail dans l'oeuvre, il convient d'en souligner le défaut majeur : Les théories sauvages est l'histoire d'une élite intellectuelle, écrite par une diplômée pour les esprits les plus affutés. Au moins, les choses sont claires. Oloixarac jette un véritable pavé et les neurones ont intérêt à rester bien éveillées pour le soulever.
La complexité volontaire de l'écriture est dommageable, car les idées sont intéressantes. J'ai tendance à penser qu'un roman est, justement, un lieu parfait pour offrir la réflexion au plus grand nombre. Ici, les personnages s'animent péniblement, étouffés par un assemblage de discours qu'ils tentent d'illustrer au lieu de « vivre ». Ajoutez à cela des réflexions peu attendues – on frappe tout de même la sacro-sainte démocratie ! – et vous obtenez un contenu vide de sens pour le lecteur moyen.
Une difficulté de plus s'ajoute à la compréhension d'un français : les mentions à l'Histoire argentine sont nombreuses, le roman se pose dans un contexte post-dictatorial du début des années 2000. Je ne peux que conseiller quelques séances de rattrapages pour ceux qui – comme moi – ont une connaissance assez floue des guerres politiques de l'Amérique latine du XXe siècle.

Dans une Argentine où la démocratie triomphe, où les idées libérales sont chantées, Pola Oloixarac et ses trois personnages refusent la naïveté. Derrière un style complexe, quelques mots crus, des scènes de sexe presque cliniques, l'auteur braque une arme sur les « intellectuels de gauche », qu'elle n'hésite d'ailleurs pas à passer à tabac par des laissés-pour-compte. le passé est devenu tabou, arrêté sur une vérité absolue : les rouges sont les sauveurs du pays. C'est un Buenos Ares désorienté qui s'ouvre devant nous, composé d'imbéciles, d'aveugles utopistes et des grands perdants, les plus brillants semble-t-elle nous dire. En effet, le couple K. et Pabst font l'effet d'inadaptés. Si la fille essaye de s'intégrer, le garçon s'enferme dans le mépris.
Son exutoire ? Internet bien sûr. Là, le troll érudit est roi. Sa mise à l'écart forcée, puis volontaire, met en lumière les côtés les plus pernicieux d'une politique qui se voudrait égalitaire au point d'essayer d'effacer les différences. Les deux nerds résistent à leur façon, trop lucides sans doute pour accepter cette situation et, aussi, trop pathétiques pour inspirer la sympathie. Leur laideur physique est sans cesse rappelée pour accentuer leur frustration, pour qu'ils ne soient jamais tentés de jouer le jeu du paraître. Croyances modernes, art contemporain, idées politiques, rien n'est épargné. L'étudiante en philosophie analyse quant à elle ces comportements d'un point de vue plus ethnologique, en contredisant une tentative à la culpabilisation très en vogue. Et si, finalement, loin d'être un prédateur, l'Homme n'avait jamais été qu'une victime obligée de lutter pour survivre ?
La tentation du livre vers une sexualité malsaine entache malheureusement ces raisonnements plutôt pertinents, comme si l'auteur peinait encore à se détacher de certaines blessures personnelles. La petite Katchowski se fait passer dessus dans tous les sens, le corps de la femme devenant, peut-être, un produit de consommation comme un autre. le totalitarisme est fini, mais la violence demeure. Dans un monde qui court vers l'abrutissement des masses, la célébration des plaisirs immédiats et la perte d'identité, les plus lucides auraient, souvent, une certaine attirance pour l'auto-destruction.

Les théories sauvages tient un discours dur, peu conventionnel, mais passé derrière le prisme d'un style très hermétique qui le rend difficile à partager. On ne peut que regretter la fermeture de l'auteur.
Si ses idées s'éclairent au fil de la lecture, un doute persiste. le roman permet de se dissimuler derrière un personnage, de laisser une certaine liberté d'interprétation, de jouer avec le lecteur. Mal comprise - ou en tout cas peu appréciée -Pola Oloixarac a dû répondre à quelques accusations dans son pays. Sa critique va au néo-libéralisme. Malheureusement, le public visé est trop limité pour donner un véritable impact à ce texte. La faute au « premier roman » peut-être. Même si le chaos était recherché pour ce titre, j'espère que l'auteur saura produire quelque chose de plus percutant la prochaine fois.

Philosophes, amateurs de débats politiques, sociologues, adeptes du trolling pourront en tout cas se laisser tenter.
Lien : http://unityeiden.fr.nf/les-..
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