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Critique de Antyryia



N.O.L.A.
Nouvelle-Orléans, Louisiane.
Comme à leur habitude, Livr's éditions a fait un magnifique travail éditorial.
A l'instar de Nouvelles saisons dans lequel chaque texte correspondait à un mois de l'année, de Sans Nouvelles dont les textes portaient sur de mystérieuses disparitions, cette fois-ci c'est donc la ville du carnaval et du Mardi-gras qui est à l'honneur.
En exclusivité, les prochaines anthologies s'intituleront d'ailleurs Nouvelles vagues ( elle portera sur les tsunamis et autres raz-de-marée ), et suivront Nouvelles observateur, Nouvelles arrivage, et le tant attendu "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles" dans lequel le lecteur pourra lui même rédiger ses histoires sur des pages demeurées volontairement blanches.
Blague à part, cette idée d'avertir le lecteur du thème comme du genre en deux mots est une excellente initiative.
Et j'adore aussi la couverture, cette poupée fluorescente qui annonce elle aussi la couleur.
D'emblée on le devine : Certaines nouvelles vont flirter avec le fantastique ou même l'horreur.

Qu'est-ce qui vous vient tout d'abord à l'esprit d'ailleurs lorsque vous pensez à la Louisiane ?
L'ouragan Katrina qui a tout dévasté sur son passage ?
La chaleur, l'humidité, les bayous, les mangroves, les crocodiles ?
L'ancienne colonie française ? ( Son nom provient du duc Philippe d'Orléans ). le patrimoine qu'a laissé notre pays ? Un peu dans la langue, dans le nom des villes ou des cours d'eau ( Bâton-rouge ne sonne pas très américain non plus ), ou le vieux quartier français, en plein coeur de la ville, sur les bords du Mississipi ?
Les plantations ? le rhum ? le gumbo ? le jambalaya ?
Les sombres heures de l'esclavage incarnés notamment par la monstrueuse Delphine Lalaurie, qui n'avait rien à envier à la comtesse Bathory ni à Gilles de Rais ? Ce répugnant personnage a vu son rôle endossé par Kathy Bates dans la troisième saison d'American Horror story, dont le thème était la sorcellerie.
Sa polyculture ? ( créoles, cajuns, français, américains ) Son aspect cosmopolite à 60 % afro-américain ?
Sa violence ?
"Tu sais qu'en Louisiane tu as dix fois plus de chances de te faire tuer que dans n'importe quel autre état d'Amérique ? Je pense que c'est du aux inégalités sociales qui sont omniprésentes ici." ( Alex N. R. )
Le jazz ( Sidney Bechet, Louis Armstrong et tant d'autres artistes ) ? le carnaval ? le Mardi-gras ? La fête qui bat son plein toute la nuit ?
"Un cortège de costumes aux couleurs bigarrées, de masques de cire et de corps peints des pieds à la tête glissait entre les façades des maisons tel un serpent sorti des entrailles de la terre". ( Fabrizio Schiavetto )
Et puis bien sûr, importé d'Afrique de l'Ouest en même temps que la traite négrière, le vaudou est aussi l'une des principales caractéristiques culturelles de la Louisiane. Culte des esprits du monde invisible, on connaît surtout du vaudou la croyance aux morts-vivants, aux mauvais sorts ( la fameuse poupée percée d'épingles ), et aux esprits de l'entre deux-mondes : Papa Legba, le Baron Samedi ou son épouse Maman Brigitte.

Ce sont à tous ces sujets, toutes ces caractéristiques propres à la Nouvelle-Orléans, que huit auteurs belges ou français vont s'attaquer dans ce recueil, abordant sous un angle bien personnel un ou plusieurs de ces thèmes.
Des auteurs peu connus pour la majorité, à l'exception de Geoffrey Claustriaux qui se fraie doucement une belle réputation dans la littérature d'horreur ou d'angoisse, méritée à mon sens. Je pense que pour quelques jeunes auteurs, il doit s'agir d'ailleurs de leur première nouvelle publiée.
Mais quel plaisir de recevoir un livre dans sa boîte aux lettres dans lequel les huit auteurs ont mis un petit mot manuscrit à mon intention pour introduire leur texte.
Quelle fraîcheur dans les textes, quelle originalité, quelle fluidité dans la majorité des nouvelles !
Ils ne sont pas tous exempts de défauts mais j'ai déjà lu des recueils tellement insipides avec de grands noms du polar pour faire vendre qu'il serait dommage de passer à côté de cette nouvelle génération qui prouve son talent sans être uniquement portés par leur notoriété.
Et comme vous l'avez vu, la Nouvelle-Orléans regorge d'histoires, de coutumes, de culture, de décors , de légendes qui font que pas un de ces textes ne se ressemble, si ce n'est parfois par l'angoisse qui se dégage de chacun d'entre eux.
Parce qu'une atmosphère surnaturelle s'est toujours dégagée de la Louisiane, et ni Anne Rice et ses chroniques des vampires, ni Charlaine Harris et sa série True Blood ne me contrediront à ce sujet.

Seul un auteur d'ailleurs, Alex N. R., n'a pas choisi le fantastique pour s'exprimer. Dans sa nouvelle NOLA ( dans laquelle l'acronyme prendra une toute autre signification ), il entraîne le lecteur dans un jeu de piste macabre. En effet, nous incarnons la personne qui retrouve un carnet laissé par un enseignant et qui nous entraîne dans une macabre visite guidée de la Nouvelle-Orléans : le hard-rock café, l'église catholique Saint-Francis, l'Audubon zoo ( l'un des plus célèbres zoos des USA, abritant 1300 espèces d'animaux au sein d'une végétation luxuriante ), les rives du Mississipi, le vieux carré français ou encore le cimetière de Saint Louis. Mais quel est le but de ces excursions ? Pourquoi nous emmener visiter chacun de ces lieux ? C'est ce qu'il vous reste à découvrir en jouant les touristes, en vous laissant guider par le narrateur, jusqu'à la conclusion glaçante et inattendue.

La nouvelle la plus horrible a incontestablement été écrite par Manon d'Ombremont. Le titre annonce de toute façon la couleur : "Les morts ne se mangent pas". Texte qui n'est pas sans rappeler par certains aspects les passages les plus angoissants du film Ring, il met en scène Zack, un personnage devenu totalement agoraphobe depuis la dévastation de l'ouragan Katrina, et son amie Lexie qui elle est au contraire plus pleine de vie que jamais et désireuse de devenir immortelle en pratiquant une forme singulière de cannibalisme.
Jusqu'au jour où elle l'appelle en lui annonçant :
"- Je ... J'ai bouffé un mec mais il n'est pas mort."
Arrivera-t-il à la protéger des dangers innommables qui sont à ses trousses ?

Moi, l'autre, écrite par Gloria F. Garcia, est la plus courte nouvelle du recueil mais ses sept pages n'empêchent pas son intensité.
Soir de carnaval et de fête à la Nouvelle-Orléans. L'héroïne, soûle et nauséeuse, se réfugie dans une petite ruelle où elle rencontrera une charmante vieille femme qui lui proposera à manger un King Cake pour qu'elle se sente un peu mieux, puisse reprendre quelques forces. Jusqu'à ce qu'elle se réveille comme possédée par une personne étrangère, par un parasite dont elle ignore tout et qui sait tout d'elle.
"Il est encore en moi, cet autre que je ne saurais toujours pas nommer, et c'est lui qui retient ces fameux souvenirs qui me reviennent de droit."
Le King Cake, dessert à base de cannelle, est l'équivalent de notre galette des rois et se déguste en Louisiane le jour sacré du Mardi-gras.
La fève représente l'enfant Jésus et peut être faîte en plastique, en porcelaine ou aussi en noix de pécan.
Je ne dis pas ça uniquement pour votre culture personnelle. Il pourrait s'agir d'un indice.
Le frisson que vous ressentirez sera-t-il d'horreur ou de soulagement, quand vous connaîtrez toute l'histoire?

Sans nom ... C'est le titre de la nouvelle d'A.D. Martel qui elle aussi tire son épingle du jeu, sans mauvais jeu de mots.
Sans nom, c'est ainsi que s'appelle cette poupée qui pourrait être celle de la couverture.
On entre cette fois en plein coeur des rituels vaudous avec l'entrée en scène de cette étrange créature qui bouge et pense par elle-même.
Mais on est assez loin des dessins animés comme Barbie au bal des douze princesses.
"Sans nom n'est en effet pas humaine. Sa peau est constituée de toile de jute, sa chair de paille. Deux boutons lui servent d'yeux, l'un gros et marron, l'autre petit et jaune."
Une mèche de cheveux est accrochée à elle. La sorcière qui l'a créée lui a planté des aiguilles partout sur le corps, lançant une malédiction.
Mais qui en sera la victime ?
Un texte plein de tendresse qui prend à contrepied le vaudou tel que nous pouvions l'imaginer.


Les autres nouvelles, de près ou de loin, parlent toutes des LOAs.
Attention, rien à voir avec la location avec option d'achat.
Les loas ( ou lwas ) sont les esprits de la religion vaudou, les intermédiaires entre les hommes et les royaumes divins.
Les deux loas dont il sera question principalement ici sont les deux plus connus : Papa Legba qui détient la clef du Paradis et des Enfers, et bien sûr le Baron Samedi qui est l'esprit de la mort et de la résurrection.

Je n'insisterais pas sur la nouvelle de Fabrizio Schiavetto tout simplement parce que je ne suis pas sûr de l'avoir intégralement comprise. le langage plus soutenu que celui des autres textes du recueil fait de "L'autre porte" une histoire plus difficile à suivre. Disons simplement qu'il y est question de jazz, de carnaval et d'ouragan. Que le personnage principal, condamné par un cancer, devra fuir le noir monde en compagnie du Baron Samedi renommé Samedi chance pour l'occasion et qui ne parle que par énigmes. Mais je suis passé à côté et ne peux donc en parler avec objectivité.

Dans "Le sourire du baron", Geoffrey Claustriaux met lui aussi en scène le baron Samedi.
Tout commence à la façon d'un polar noir, avec le meurtre d'un vieil homme. Agressé par une bande de jeunes, c'est leur meneur, Randy, qui portera le coup de couteau fatal.
Avant qu'une forme de justice immanente ne prenne la relève sous la forme d'un poids lourd qui le percutera de plein fouet.
"On retrouva des morceaux de lui sur plus de cinquante mètres, étalés sur la route comme de la confiture sur un sandwiche trop long."
Là où l'histoire aurait pu s'arrêter, elle ne fait que commencer puisque Randy va se réveiller au purgatoire, face au baron Samedi, qui lui propose d'éviter les Enfers à condition de remplir sans aucune aide une série de trois épreuves. Mais les élus sont rares.
"Dans ton cas, nous pouvons te ressusciter et te renvoyer sur terre."
Prenante, instructive, effrayante, limite gore par moments ( "Plusieurs femmes avaient été disséquées vivantes avant de voir leurs viscères enroulés autour de leur taille" ), ces quatre-vingt pages composant presque une novella a juste un défaut : Avoir voulu trop en mettre peut-être. Geoffrey Claustriaux mêle passé et présent, genre noir et genre horrifique, et veut peut-être trop en dire en évoquant tant la créature au haut-de-forme et au smoking violets que les célèbres Marie Laveau ( la plus grande prêtresse vaudou ) que la macabre Delphine Lalaurie, le tout dans une atmosphère typique de Louisiane sous forme de pacte avec le diable. C'est une excellente nouvelle qui a juste pour défaut sa trop grande multitude de thèmes abordés.

Laure Anne Braun nous livre quant à elle "La croisée des chemins", qui introduit d'ailleurs le recueil.
Londonienne, peu sociable, Emilie Carter ne s'était auparavant jamais intéressé à ses origines.
"Elle ne se sentait pas créole, ne s'intéressait pas au vaudou ou à la culture cajun."
Jusqu'au jour où elle apprendra être la seule héritière de sa tante et se rendra en Louisiane.
Où elle percera de sombres secrets familiaux.
Restauratrice d'oeuvres d'art, elle est la seule à ne pas avoir rencontré la gloire ou le succès. Son oncle était un célèbre écrivain, sa tante était chanteuse, son père était un talentueux musicien et sa mère peignait admirablement.
Subtil, curieux, émouvant également, rendez-vous à la croisée des chemins où le monde des hommes et celui des esprits se rejoignent pour en savoir davantage sur le pacte que Papa Legba est prêt à lui proposer.

Et puis ma préférée est probablement la longue nouvelle "Le bonheur repose en Louisiane" de Katia Goriatchkine, un des récits fantastiques les plus originaux qu'il m'ait été donné de lire. Alors certes, elle ne respecte qu'à demi le thème puisque le vaudou n'est abordé que dans l'histoire dans l'histoire. En effet, Ray Jacobs est un auteur dont on suit la rédaction de son nouveau chef d'oeuvre progressivement. Et c'est cette nouvelle dans la nouvelle ( comme Stephen King écrivait des pages d'un nouveau Misery dans le roman éponyme ) qui évoque le pacte de Skylar, jeune femme enceinte qui vient de perdre le père de son futur enfant, invoquant Papa Legba pour faire revenir son bien aimé d'entre les morts. L'esprit lui propose alors un impossible choix, il peut ressusciter l'homme qu'elle aime en échange de la vie de son enfant à naître.
Mais finalement, peu importe le sujet choisi, ce n'est pas lui qui rend cette histoire aussi originale.
Ce qui la rend unique, c'est le personnage de l'écrivain qui est né incapable de ressentir la moindre émotion.
Mais être capable de donner des émotions à son lecteur fait partie intégrante du travail d'auteur, et Ray Jacobs est particulièrement doué pour faire pleurer dans les chaumières. Et s'il arrive à retranscrire aussi bien les émotions ... C'est parce qu'il les absorbe sous forme de capsules.
Et des pilules, il en a plein ! Son éditeur lui fournit de quoi être triste, en colère, stressé, méfiant, jaloux. de quoi le réduire en bouillie moralement pour atteindre la quintessence dans l'écriture et la transmission des émotions.
"- Tu vois, la plupart des gens donnent des émotions négatives, que j'applique ensuite à mes romans."
"Il s'empara de la capsule dorée de deuil qu'il posa sous sa langue, et elle se désagrégea en quelques instants."
Une bien étrange façon de s'approprier la douleur et le malheur d'autrui, les soulageant de leur fardeau émotionnel et permettant de rédiger des scènes bouleversantes et authentiques.
Mais au prix de quels sacrifices ?
En tout cas maintenant vous connaissez le secret d'Henri Loevenbruck, d'Amélie Antoine, de Karine Giébel et de tous ces auteurs qui arrivent à vous broyer le coeur en quelques pages.
Un écrivain n'a-t-il pas plus de talent quand il écrit alors qu'il est lui-même sous le joug d'une intolérable souffrance qu'il ne peut exprimer que par écrit ?
C'est une excellente question, non ?
Et que se passerait - il si Ray Jacobs se voyait proposer enfin de nouveaux parfums ?
- Bonjour, je voudrais une glace avec deux boules s'il vous plaît. Bonheur et satisfaction.
C'est à cette question que tente de répondre Katia Goriatchkine dans sa longue nouvelle, éblouissante d'originalité et d'audace, et qui sous couvert d'humour et de métaphores pose de véritables questions sur l'essence même du métier d'écrivain, de ce qui peut être à l'origine du talent.

Huit nouvelles sur un même thème, et pourtant huit façons de nous présenter la Nouvelle-Orléans, son folklore, ses coutumes, sa végétation, ses tragédies humaines et météorologiques, son histoire encore récente et pourtant si riche qui en fait définitivement une ville à part, qui fait de la Louisiane un Etat unique des Etats-Unis.
On ressort vraiment de ce recueil enrichi culturellement au fil de ses histoires angoissantes, émouvantes ou horribles qui présentent au mieux et de façon souvent originale sa culture vaudou certes, mais pas seulement.
Il est presque contradictoire de découvrir cet ancien Etat sudiste meurtri par l'esclavage, la violence, les cyclones être également celui qui a l'esprit le plus festif, celui qui a le plus intégré le catholicisme à ses propres rites d'origine africaine.
A découvrir et à faire découvrir, comme tout ce qu'ose cette jeune maison d'édition pas comme les autres.

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