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Critique de Levant


Levant
28 décembre 2017
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, vers emprunté à un poème d'Aragon, est devenu le titre de cet ouvrage autobiographique paru en 2015, que Jean d'Ormesson a choisi de travestir en instruction, à charge et à décharge comme il se doit, d'un procès dont on comprend qu'il est une répétition devant ses lecteurs d'un jugement qu'il sait être le dernier.

Un procès, avec dans le rôle de l'avocat général son sur-Moi, supposé accabler son Moi, lequel a choisi d'assumer seul sa défense. Réquisitoire et plaidoirie dans lesquels on remarque toutefois une certaine connivence dans la contradiction, forme de mise en scène d'un examen de conscience lorsque parvenu à une époque de la vie où chaque levé de soleil est un sursis. Gageons que l'accusé ne manquera pas de répartie connaissant sa verve légendaire débordante d'optimisme.

Mais de quoi son sur-Moi accuserait-il Jean d'Ormesson au soir de sa vie ? De paresse, de naïveté, dont il aime à s'affubler ? D'être bien né ? Ou peut-être, sans parler de défaut d'amour pour son prochain, mais plutôt de défaut de manifestations d'amour. Ne s'accable-t-il pas lui-même d'avoir conduit sa vie dans "l'indifférence passionnée" du monde qui l'entoure. Terme générique qui doit contenir et Nature et Ceux qui la peuplent.

Mais c'est bien plus d'un procès en fausse modestie dont Jean d'Ormesson devrait répondre. On le confirme à la seule lecture de l'index du panthéon culturel qui peuple ce livre, car nombreux sont ceux qui auraient aimé que leur paresse les fasse normalien, directeur du Figaro, académicien et au final entrer dans la Pléiade de leur vivant. Aussi, au-delà de l'index de cet ouvrage, et à sa lecture donc, le lecteur qui n'a de l'académie qu'une idée très abstraite ne pourra quant à lui que faire oeuvre d'une modestie bien réelle en mesurant l'univers sidéral de connaissance qui le sépare de l'académicien. Sa fausse modestie est en partie faite du "narcissisme et de la vanité de ceux qui écrivent", dont il est lui-même, Jean d'Ormesson, lorsqu'il rédige cet ouvrage. Dont il était, puisque désormais sorti du temps et versé dans l'éternité.

Le procédé narratif de cette mise en accusation bien maîtrisée permet de relancer régulièrement un récit qui pourrait s'essouffler de tant d'énumérations de sources bibliographiques, de personnages plus ou moins célèbres rencontrés au gré des pérégrinations planétaires de son auteur. Au vulgaire qui ne partagerait pas un tel carnet d'adresses, une telle érudition, pareil flot de références pourrait passer pour poudre aux yeux, provocation, voire pour mépris. Les quelques trivialités, les interpellations quelque peu brutales de son sur-Moi qui jalonnent ce récit ne dévoilent rien de très personnel. Pudeur quand tu nous tiens. Elles sont à dessein une subtile accroche à destination des vrais modestes, dans lesquels je me range. Ceux-là même qui se seront risqués à l'acquisition de la désormais fameuse couverture aux liserés rouges et noir de la très sérieuse maison d'édition, héritière de la NRF.

"Ecrivain miroir de son temps", Jean d'Ormesson n'oublie pas dans ses regrets de déplorer le sort réservé à l'objet de toutes ses attentions, la langue française. Notre belle langue qu'il maîtrise si bien et qui l'a fait vivre. Il la voit malmenée, menacée par une déferlante d'onomatopées, d'anglicismes, d'acronymes et de substantifs tronqués, insidieuse et opiniâtre érosion suscitée par cette même paresse dont il s'est fait le parangon. Ce nouveau langage qui porte l'homo numericus à fouler au pied la grammaire, celle-là même qui jusqu'à ce jour aura fait chanter aux oreilles de son auditeur la belle langue de Molière.

Récit autobiographique sans grande révélation donc, d'une vie dont d'aucun pourra dire qu'elle aura été sans le souci du lendemain, puisque bien née dans l'amour et le confort. D'une vie que son bénéficiaire avoue d'admiration béate de tout, du monde et de la vie elle-même en particulier. Une vie sans souci d'un lendemain matériel. Parce que pour ce qui est du lendemain immatériel, celui-là même qui court avec la funeste opiniâtreté qu'on lui connaît, ce souci-là se fait obsessionnel. On le comprend fort bien. C'est un des thèmes sur lequel on se retrouve, nous aussi ses lecteurs, sans savoir le dire aussi bien que lui, forcément. C'est la raison pour laquelle plus que tout ce que l'académicien a ingurgité de connaissances et fréquenté de sommités, plus que cet acquis d'un passé qui n'est plus, d'un présent impalpable, d'un futur qui ne sera pas, il dirige son amour vers la Lumière et le Temps. Toutes deux notions sans consistance et qui pourtant commandent à nos vies. Pouvoir égalisateur de la mort entre le pauvre et le riche, le beau et le laid, le sot et le lettré. Ne reste alors que l'héritage, ces fameuses tranches de cuir gravées de lettres d'or de la Pléiade, pour faire la différence et prolonger ainsi celui qui a traversé le temps avant que de basculer dans l'éternité de l'oubli.

A moins que … à moins que l'oubli ne soit rien de ce tout et de ce rien qui se confondent dans vos propos monsieur d'Ormesson. A moins que l'oubli ne soit cette immensité d'amour auquel tout le monde aura prétendu avec des fortunes très diverses en ce purgatoire terrestre.

On aura aimé votre engouement communicatif pour cette vie, Monsieur d'Ormesson, et cet espoir d'ouverture que vous nous proposez vers une immensité d'amour, que vous nous suggérez quand le temps ne sera plus compté. Et cette fausse modestie dont vous auréoliez votre personne, elle a fait partie du personnage. Elle a fait nos délices chaque fois qu'un plateau TV vous offrait une tribune. Elle le fera encore lorsqu'on s'ouvrira à tous ces écrits que vous avez laissés à notre attention.
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