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Critique de LesPetitesAnalyses


Comme si l'âge aidait à se dépouiller de l'inutile et à nous diriger vers l'essentiel, il m'a fallu de longues années avant d'entrevoir la beauté d'un haïku. J'ose imaginer ma réaction d'étudiant amorphe et blasé si quelqu'un m'avait glissé des haïkus sous le nez: Cela n'a ni queue ni tête et c'est d'une lassitude sans nom!

Depuis, les années ont filé, des rencontres m'ont transformé et les certitudes ignorantes de l'adolescence ont fait place à l'ouverture aux doutes. Si il m'arrive, maintenant, de revenir sur mon jugement péremptoire au sujet des haïkus et des les apprécier, c'est que la vie a fait son oeuvre et qu'elle continue, inlassablement, son ouvrage. Pour se laisser emporter par ces petits poèmes japonais, il faut saisir notre rapport au temps pour, ensuite, mieux le laisser de côté. La brève analyse des “Haïkus du bout du monde” de Hōsai est une occasion de se confronter à un style poétique qui, bien souvent, échappe au lecteur occidental.

Afin d'éclairer certaines lanternes, il convient en premier lieu de définir les contours d'un haïku dans sa forme classique et transposé en français: une métrique précise de 3 vers dont 17 syllabes, l'obligation d'utiliser un mot de saison (le kigo) et une césure. Respectez le tout et vous voilà avec votre première ébauche d'haïku classique.

Hōsai, lui, a fait voler en éclat ces règles traditionnelles et a fait émerger un style (ou l'absence de style justement) libéré de contraintes. Il a, en quelque sorte, rendu la construction de ces poèmes plus accessible. On retrouve, certes, beaucoup de mots de saison dans les “Haïkus du bout du monde” mais on peut aussi y voir des vers libres au plus proche du quotidien de Hōsai:

"Ongles coupés, les dix doigts sont là
tsume kitta yubi ga jippon aru"

Ozaki Shuyu “Hōsai” signifie “celui qui a lâché prise” et on comprend aisément le pourquoi de ce surnom quand on s'intéresse à la biographie de ce poète nippon. Hōsai était un citoyen aux capacités brillantes et à la sensibilité exacerbée. Empêtré dans un alcoolisme profond il gravit les échelons professionnels aussi vite qu'il ne les dégringola. Bien qu'il écrivit des haïkus tout au long de sa vie, c'est lors d'un changement de cap, en devenant moine mendiant, puis en se retirant sur l'île de Shodoshima, qu'il écrira ses célèbres haïkus.

Hōsai a eu cette faculté de faire entrer son quotidien solitaire en entier à l'intérieur de quelques mots. C'est la puissance des haïkus, capables de dire plus de choses que des milliers de mots, à condition de se laisser emporter par eux. Comme le dit très justement les traducteurs de ce livre:

"La poésie d'Hōsai ne bavarde pas. L'écriture est simple. Si simple qu'elle peut paraître banale au lecteur pressé ou pris au piège d'un maniérisme littéraire."

En effet, cette poésie là est de celle qui élève le moindre détail du monde au rang d'événement. Là où notre héritage culturel occidental, européen, francophone, se base sur une tradition de la richesse, de l'opulence dans les mots, des figures de styles et des effets de manches, les haïkus d'Hōsai sont, eux, le parfait contre-pied de tout cela. Il sont une mise à nu de la langue et ne s'adresse qu'à l'instant présent; pas celui dont l'ultra-capitalisme a réussi à s'emparer sous la très lucrative bannière du “bien-être”, non. Celui qui nécessite un réel ralentissement afin de se recentrer sur l'essentiel mais aussi de permettre à notre imagination de remonter à la surface. Il va sans dire que dans notre monde où nous sommes sollicités de toute part, les haïkus sont salutaires.

"Une libellule, l'attraper par la queue – raté
tombo no o o tsumami sokoneta"

Les haïkus restent malgré tout assez méconnus en francophonie si ce n'est chez ceux qui portent un amour immodéré pour le Japon. Une des raisons du peu de succès des haïkus en francophonie est sans doute lié à la grande différence entre la langue nippone et la française. Dans la langue japonaise, les pronoms sont utilisés avec une certaine rareté et cela se ressent d'autant plus dans les haïkus. Tandis que les pronoms en langue française font partie intégrante de chaque phrase. Une fois contourné cet obstacle de langage, le lecteur pourra pleinement apprécier les haïkus de Hōsai.
Enfin, il m'est impossible de conclure cette brève analyse sans toucher un mot sur le coup de pinceau de l'illustratrice Manda. Ces illustrations accompagnent les “Haïkus du bout du monde” dans un style qui colle parfaitement avec la poésie japonaise. Il s'agit, en fait, de peintures haïga et de sumi-e. La première étant un support visuel pour le haïku et qui sert à montrer le moins possible, à montrer l'essentiel tout en laissant une porte ouverte pour notre imagination. le second, le sumi-e, étant la technique picturale qui consiste à diluer la couleur avec plus ou moins d'intensité. Les illustrations de Manda apporte donc encore un peu plus de corps aux haïkus de Hōsai et j'invite le lecteur à jeter un coup d'oeil sur son art.
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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