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Critique de Subtropiko


Grand merci à Babelio pour son opération « Masse critique » qui m'a permis de recevoir Fragments de la consolation ; aux éditions le Réalgar (j'ai découvert ce mot !), à Stéphane Padovani et à Juliette Lemontey, dont les lignes (écriture pour l'un, peintures pour l'autre) se répondent si bien.

Quel étrange et attachant petit livre ! Qui écoute ? le cosmonaute Neil Armstrong, mort et revenu sur la Lune, à la surface de laquelle il glisse comme un patineur. Qui parle ? Des humains comme lui, qu'il est chargé d'accueillir, de rassurer, de guider vers on ne sait quelle éternité. Chaque fragment - dont la longueur varie d'une quinzaine de pages à un simple paragraphe - porte en tête, en titre, un prénom, à de rares exceptions près : ainsi se faufilent, dans cette liste, un nom de famille et un « on »…

Les personnages s'expriment à la première personne. Parfois ils se parlent, d'un texte à l'autre : Stanis évoque ce qu'il peut faire pour Inga, et Inga repense aux épreuves traversées par Stanislas comme par elle-même : ils sont vieux, séparés, ils s'aiment. Kaminski se souvient soudain de son élève, Pavel, et ce dernier de son maître, Monsieur Kaminski, dont il avait aimé un certain geste « d'une agressivité tranquille ». Birgitt rêve d'une greffe de voix, tellement elle déteste la sienne. Stellan veut l'aider à l'apprivoiser.

La voix humaine apparaît fondamentale dans ce recueil. Depuis la citation d'ouverture jusqu'à cette dernière page, où le même Neil Armstrong définit sa tâche de passeur : « J'attends. J'écoute. Je recueille des fragments. Fragments de la consolation. de nouvelles voix viennent vers moi, de nouvelles âmes à accompagner, à faire migrer» en passant par le récit de Clara, qui reconnaît celle de chacun de ses cinq enfants, déjà devinée alors qu'elle les portait dans son ventre, et celui de Toumani, qui allume la radio entre deux livraisons : « Une voix pareille (…) c'est comme caresser un chat, mâcher une mangue bien mûre, je ne sais pas. Ça me fait penser au son d'un balafon. Tout de suite je suis en érection. Rien à faire. On ne peut pas lutter. »

Beaucoup de ces locuteurs ressemblent cependant à des survivants d'une catastrophe, individuelle ou planétaire. À des fugitifs, à des victimes. Leur langue est pleine de simplicité, de créativité, riche en énumérations et en allitérations. « Tout fond, coule, pisse, flaque, file, vite avalé » se plaint Raddi. Josefine, étiquetée folle, fustige « ces mots qui m'engluent, glacent mon glucose, sortis comme d'un goitre de golden boy. » Mais, déclare-t-elle par ailleurs, « Moi je dis que j'entends des voix et que je les comprends. »

Les peintures de Juliette Lemontey illustrent très bien - trop bien, presque jusqu'au malaise ? - cet aspect fantomatique : dans des camaïeux de beiges et de bleus, elles nous offrent des visages dont les traits semblent avoir existé mais avoir été effacés après coup, d'un mouvement circulaire du pouce ou de l'estompe. Mis à part deux d'entre eux, chez qui le regard, le nez et une ombre de bouche émergent par transparence, ce ne sont que profils perdus, spectres nous faisant face, figures esthétiques et inquiétantes.

Stéphane Padovani, lui aussi, écrit et efface. À nous de relire ses textes, de nous tenir à l'écoute « au bord du bassin flagellé de gouttes, au milieu de l'air chloré brassant des voix éclatées par l'écho ».
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