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Critique de EricLestringant


Les excellentes éditions toulousaines du Grand Os, que j'ai découvertes un peu par hasard il y a quelques mois, publient cet assemblage de deux textes longs et d'une douzaine de poèmes courts de l'Espagnol Leopoldo María Panero, dans leur collection Qoi et dans une traduction de Victor Martinez et Aurelio Diaz Ronda.
« Tarzan trahi » date de 1967 et « Ainsi fut fondée Carnaby Street », qui le précède dans cette édition somptueuse, a été publié en 1970. À cette époque, âgé d'une vingtaine d'années (il est né en 1948), Leopoldo María Panero se débarrasse à sa manière de l'encombrant héritage de son père Leopoldo, poète officiel du franquisme, en conduisant notamment de décidées expérimentations psychédéliques et de résolues affirmations de son homosexualité, les deux le conduisant alors à plusieurs internements psychiatriques.
S'appuyant sur une redoutable maîtrise de ce qu'on ne nomme pas encore, en ces années-là, la « pop culture », il cultive une vision à la fois hallucinée et affûtée de la mort programmée des rêves d'enfance et de la dissolution mercantile qui s'annonce déjà sous couvert de « libération ». Mobilisant ainsi Peter Pan, Mandrake, Tarzan, Dashiell Hammett, Cecil B. de Mille, Captain Marvel, Disney, Grimm, Andersen ou le mystérieux Homme Jaune, il enchaîne en de cinglants paragraphes, allant de quelques lignes à quelques pages, les mises à mort, conduites avec une rare tendresse, de l'ensemble des mythes ayant pu nourrir nos enfances, sous le signe emblématique des Rolling Stones, à qui est ironiquement dédié «Ainsi fut fondée Carnaby Street», détectant extrêmement précocement, en une analyse gramscienne instinctive, que derrière les chemises à jabot londoniennes c'est déjà la Marchandise qui prépare son triomphe.
Bien que n'utilisant que des formes brèves ou très brèves, il nous offre au long de ces 65 pages un flot quasiment épique. La précieuse postface de Victor Martinez rappelle avec justesse l'irrigation deleuzienne qui sourd de ces vers lancinants et de ces proses aiguës, et la manière dont se fonde ainsi un « simulacre posé sur un vide de sens, organisateur de mythes consommables, producteur de destinées vivantes mais détachées, coupées, séparées d'une conscience historique, finalement peu individuées ».
C'est avec une sombre et belle joie que la lectrice ou le lecteur se plongera dans ces phrases tendres, vives et indispensables, où toute une « Logique du sens » s'effondre paisiblement en une si douce apocalypse.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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