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Critique de yrouille


Intrigué par les multiples interventions de Jérôme Pellissier à propos des surdoués dans les médias (sur France Culture en particulier), j'ai pris le temps de lire son livre "La fabrique des surdoués" (2021).

D'abord, je tiens à saluer et reconnaître la démarche critique de M. Pellissier à l'encontre du microcosme surdoué :

oui, il est important de rappeler les limites d'un test de QI
oui, un écosystème économique (psychologue peu scrupuleux, coaching opportuniste, enseignement pseudo-spécialisé, etc.) existe autour des surdoués
oui, la "sur-attribution" à leur douance existe chez certains surdoués pour justifier les difficultés qu'ils pourraient rencontrer dans la vie (ceci est notamment observable au début de leur cheminement post-test, une période de tâtonnement où l'on apprend à composer avec cette nouvelle information)
oui, la tendance chez certains parents (notamment dans les milieux favorisés) à vouloir expliquer les difficultés de leur enfant à une supposée douance est en augmentation et nécessite d'être remise en cause
oui, il peut être contreproductif de tester un enfant trop tôt car cela peut le condamner vis-à-vis de lui-même et des autres (enseignants, camarades, famille) à une étiquette qui le contraindra plutôt que de l'émanciper

Tous ces rappels sont très justes et sont peu développés dans la littérature grand public sur les "surdoués". le livre de J. Pellissier met en lumière certains de ces excès et c'est une bonne chose.

Pour autant, c'est un sentiment de malaise qui domine tout au long de ce livre. Jérôme Pellissier présente la douance comme une forme d'imposture... quand lui-même ne présente pas dans ses travaux universitaires de références solides sur ce sujet (il est plutôt spécialisé en psychogérontologie). Il confond sciemment test de QI avec test d'intelligence... alors que tous les professionnels savent que le test de QI (un test éprouvé depuis des décennies) ne mesure que la performance cognitive qui ne résume pas à elle seule l'intelligence, si tant que ce concept peut faire l'objet d'une définition consensuelle. En remettant en cause le test de QI sur des bases erronées, il met en doute l'existence même des "surdoués". Soit, admettons... Dans ce cas, quel accompagnement propose-t-il aux milliers de surdoués qui se sont reconnus dans les témoignages et les situations de vie décrites par les auteurs grand public de la littérature surdouée (littérature que l'auteur semble méprise au plus haut point) ? Rappeler qu'un test de QI atypique n'explique pas tous les écueils de la vie est salutaire... mais nier que cela puisse avoir une quelconque influence sur les relations sociales, le rapport au monde, etc. est une blessure douloureuse infligée aux personnes concernées qui ne peuvent que se sentir niée dans leur spécificité et le travail d'acceptation qu'elles ont pu entreprendre.

Enfin, et il s'agit d'un jugement très personnel, j'en suis arrivé au cours de la lecture à me demander si le travail de Jérôme Pellissier ne relève pas plus d'une interprétation socio-politique que scientifique de la douance. Tout au long du livre, j'ai senti une arrière-pensée idéologique sous-jacente. La France est particulièrement attachée à l'égalité. La sociologie notamment rejette toutes les formes de prédisposition et considère que nous ne sommes que les objets de notre environnement et de notre histoire de vie. Ce n'est pas un hasard si l'auteur s'en réfère à plusieurs reprises à Bourdieu. Dans ces conditions, l'existence même d'une inégalité de "naissance", celle du quotient intellectuelle, est une idée subversive, suspecte... car elle porte en elle la perspective d'une inégalité des parcours contre laquelle le système politique serait impuissant. La possibilité que dans un futur plus ou moins proche certains soient tentés de favoriser des naissances sur la base de critère de QI, et donc de pratiquer une forme d'eugénisme, n'est pas à exclure totalement. C'est peut-être cette crainte qui a orienté l'écriture de J. Pellissier. Cela ne devrait pas l'abstenir d'effectuer une analyse plus juste des particularismes vécus par les personnes HPI. Car il y a bien un sujet... obscure certes, nous n'en sommes qu'au début de l'interprétation de ce phénomène. Mais le nier et même le dénigrer en n'en relevant que les incohérences ou les insuffisances ne relève pas d'une démarche scientifique sérieuse. Vous avez dit imposture ?
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