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Critique de Malaura


Il est des livres que l'on se fait une joie de découvrir car, au-delà de l'histoire inscrite entre leurs pages, ils portent en eux le récit de leur propre vie, de leur origine, de leur création. Ils possèdent une existence propre, une biographie particulière. « En attendant l'heure d'après » est de ces livres ; et l'on ne peut concevoir titre plus approprié que celui dont l'a doté son auteur, terriblement prophétique, annonciateur de toutes les heures sombres dans lesquelles on allait l'immerger, jusqu'à ce moment, cette « heure d'après » où il allait enfin ressusciter et parvenir jusqu'à nous.
Ecrit en 1948 par l'écrivain roumain Dinu Pillat (1921-1975), saisi en 1959 par la Securitate, négligé, égaré, englouti dans les profondeurs abyssales des archives de la sécurité, l'exemplaire unique de ce roman que l'on croyait à jamais perdu, ressurgit en 2010 et, plus d'un demi-siècle après sa rédaction, est officiellement restitué à la famille de l'auteur décédé. Dinu Pillat n'aura jamais eu la joie de voir son livre édité.

« En attendant l'heure d'après » est alors intéressant et sublime à plus d'un titre ; par son contenu d'une part, qui relate le fonctionnement d'un mouvement extrémiste dans la Roumanie de l'entre-deux guerres, et par son horizon spécifique d'autre part, lié a fortiori à celui de l'auteur, condamné aux travaux forcés par le régime communiste roumain justement à cause de ce livre, lors de retentissants procès d'intellectuels dans les années 1960.
De ce fait, comment ne pas être captivé par un roman dont le sujet, initialement à vocation sociologique et humaine, devient un objet d'incrimination et le principal chef d'accusation retenu contre son auteur?
En se penchant sur l'action des « Légionnaires », mouvement d'extrême-droite nationaliste, antisémite et anticommuniste défendant des valeurs religieuses et morales radicales, Dinu Pillat est accusé de faire l'apologie de l'idéologie légionnaire et, dans « un procédé de confusion entre le thème de son livre et sa position personnelle », est arrêté et emprisonné, victime des purges politiques du régime communiste roumain. le roman est alors retenu par la Securitate comme preuve du « légionnarisme » de l'auteur.

C'est avec cette connaissance des graves répercutions de l'oeuvre dans l'existence de Dinu Pillat, que nous lisons ce roman à la thématique très forte, ne pouvant nous empêcher de tenter de déceler ça et là des preuves sous-jacentes de subversion, sachant pertinemment qu'il n'y en aura aucune, et que cette accusation de défense des « Messagers » (ainsi nommés dans le roman) n'est qu'une mystification du régime pour se débarrasser de l'homme cultivé, éclairé et libre qu'incarne l'écrivain, à l'instar d'autres d'intellectuels contemporains de Pillat, tel Cioran.
Comme le souligne le philosophe roumain Gabriel Liiceanu, qui éclaire l'ouvrage d'une très intéressante postface : Dinu Pillat représentait un certain type d'humain à abattre.

« En attendant l'heure d'après » est un très beau livre, non pas comme fresque historique mais comme roman psychologique s'interrogeant sur le processus qui amène au fanatisme, au terrorisme et au totalitarisme.
Comment la jeunesse roumaine des années 1920-1930 a-t-elle pu être séduite par ce mouvement disciplinaire d'un radicalisme excessif, organisant des actions terroristes et tolérant le crime ? Comment le mouvement a-t-il dégénéré de la mystique christique à la politique du sang versé, du message religieux à l'exhortation à la violence ?
A travers le destins tragiques de plusieurs personnages, lycéens, étudiants, universita ires, adhérant aveuglément à l'idéologie des Légionnaires, Dinu Pillat dévoile avant tout les tourments, les espoirs et les doutes d'une jeunesse qui refuse le schéma bourgeois incarné par leurs parents ; une jeunesse qui rejette la passivité, la léthargie et la résignation de la précédente génération ; une jeunesse qui récuse les corruptions, les tromperies, les injustices et les inégalités du régime politique en place. Pour ces étudiants, certains très pauvres, issus pour beaucoup d'un milieu rural ou modeste, le salut ne peut alors naître qu'avec les coups d'éclat de leurs actions terroristes. Tel Saint-Georges combattant le dragon, ces jeunes en mal d'identité et d'idéal veulent, par leurs faits d'arme, représenter la victoire de la foi chrétienne sur le Démon, un combat du bien contre le mal qui atteindra les limites de ses propres contradictions et paradoxes.
Le mouvement implosera, victime certes de la répression policière, mais aussi des conséquences de ses agissements. Car le salut dans le crime est une aberration insurmontable, le jugement moral et religieux ne doit jamais se confondre avec la violence et la brutalité de l'anarchie. Vassia, Stefanuca, Rotaru…chacun incarne à sa façon l'idéal légionnaire, certains avec une fervente conviction religieuse, d'autres avec une ambition politique, d'autres encore par défi anarchiste…des jeunes gens qui se sont laissés corrompre dans leur idéal de monde nouveau.

D'une écriture toujours juste et impartiale, empreinte ça et là de belles respirations poétiques, Dinu Pillat expose, un peu comme un chercheur étudie les principes d'un phénomène scientifique, les objectifs et les incohérences de cet engouement idéologique sectaire et fascisant.
Une grande découverte révélée grâce à l'opération Masse Critique et les éditions des Syrtes. Nous les remercions de permettre que cet excellent roman remplisse enfin sa mission première: être lu et apprécié par le plus grand nombre, tout simplement.
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