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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Hillbilly, tome 1 (épisodes 1 à 4) qu'il faut avoir lu avant pour comprendre qui sont les personnages. Il contient les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2017, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Eric Powell. Les épisodes 2 et 4 bénéficient d'une histoire courte supplémentaire écrite par Powell, dessinée par Steve Mannion pour la première, et par Simone di Meo pour la seconde. Ces 4 épisodes constituent autant d'aventures indépendantes mettant en scène Rondell le bouseux, dans chaîne de montagnes des Appalaches, armé du couperet du diable.

Dans la première histoire, Rondell vagabonde dans la forêt et arrive à proximité d'une maison isolée devant laquelle se tient un homme armé d'un arc, au bord de l'épuisement, n'ayant pas fermé l'oeil depuis plusieurs nuits. Il perd littéralement conscience dans les bras de Rondell qui le ramène dans sa cabane. le trappeur explique qu'il est harcelé par une créature surnaturelle appelée Tailypo dont il a eu le malheur de couper la queue et de la manger. L'histoire complémentaire raconte la fois où Tailypo a essayé de duper Iron Child pour s'approprier sa hache. Dans la deuxième histoire, Rondell est prisonnier d'une créature surnaturelle, un gros monstre dont une partie du dos forme des cages avec des barreaux. Il partage cette situation d'infortune avec un autre homme dans une cage à côté. Maggie, la sorcière aux 12 orteils, s'est emparée de son couperet du diable. Sentant qu'ils vont bientôt être mis à mort, l'homme confesse une infidélité à sa femme dont le chagrin occasionné a entraîné le déclin de sa santé jusqu'à sa mort. Suite à cette confession, Rondell raconte qu'il n'a eu que 3 amours dans sa vie : sa mère, une femme à qui il n'a jamais pu avouer ses sentiments, et Lucille, une ourse qui parle. Il raconte comment il a rencontré Lucille, en poursuivant la sorcière Ezerat.

Dans la troisième histoire, Rondell progresse avec difficulté dans les montagnes Appalaches, sous la neige qui tombe dru. Alors qu'il a de plus en plus de mal à progresser dans la neige collante qui lui arrive jusqu'au genou et qu'elle alourdit son manteau, il arrive devant une petite cabane, avec un indien qui lui fait signe d'entrer. L'hôte lui offre un bol de soupe devant un feu vrombissant. Rondell s'endort aussitôt sa soupe finie et se met à rêver à un loup géant. Cet épisode est réalisé en 3D, nécessitant l'utilisation d'une paire de lunettes avec un verre rouge et un bleu (non fourni avec le comics) pour pleinement l'apprécier. Dans la quatrième histoire, au fil de ses vagabondages, Rondell arrive dans le village de James Stoneturner. Sa soeur lui apprend qu'il a été enlevé par des créatures surnaturelles, l'une d'elle se nommant Judd Hogslopp, une sorte de phacochère anthropomorphe. Par contre les ravisseurs ont laissé la pierre dans la chapelle. Rondell se met en quête de Judd Hogslopp, pendant que James Stoneturner répond aux questions que lui posent les 3 sorcières pour le compte desquelles il a été enlevé. L'histoire courte montre Rondell dans une auberge, alors que les individus présents le regardent d'un mauvais oeil. L'un d'entre eux finit par proposer de l'embaucher pour apporter des peaux de bête à un marchand dont la maison est en haut de la colline. Rondell accepte en sachant très bien qu'il s'agit d'une forme de piège.

En découvrant ce deuxième tome, le lecteur ne se pose de question. Il sait qu'il va retrouver Rondell, un individu aveugle de grande taille, armé d'un couperet réagissant aux créatures surnaturelles et maléfiques. Il sait qu'il va découvrir 4 histoires menées à leur terme en 1 épisode, dans lesquelles Rondell va appliquer sa justice définitive sur des monstres qui le méritent bien, dans des décors naturels boisés. Il est servi dès la page d'ouverture avec la haute carcasse de Rondell, avançant d'un pas sûr au milieu d'arbres aux formes torturées. le lecteur voit bien que la nature est mise en scène par Eric Powell pour la sublimer en un décor gothique, une forêt plus impressionniste que naturaliste, un milieu naturel propice à abriter des monstres pouvant disparaître et apparaître à leur gré dans ses sous-bois enténébré. Il note que les futs des arbres sont assez espacés, mais que la frondaison des arbres doit être d'une surface telle que les feuillages de touchent d'arbre en arbre dans les hautes cimes. La majeure partie du deuxième épisode se déroule dans des grottes de vaste taille. le lecteur peut apprécier le volume de chaque grotte, ainsi que la texture de la roche. La troisième aventure propose 4 pages de pénible progression dans la neige, avec une texture extraordinaire, et une luminosité crépusculaire verdâtre totalement envoutante. La dernière aventure est moins riche en décor, à part pour la caverne dans laquelle est détenu James Stoneturner. Si le lecteur dispose de lunettes 3D, il peut apprécier les éléments naturels du troisième épisode, sinon il regrette de ne pas en disposer.

Eric Powell répond donc aux attentes du lecteur en termes d'environnements naturels sublimés en décors aux formes épurés, propres à distiller une ambiance macabre. le lecteur retrouve avec grand plaisir la haute silhouette de Rondell, avec son grand manteau descendant jusqu'aux chevilles, ses bottes de cuir, son étrange chapeau melon, et sa longue tignasse. Il n'y a pas de doute qu'il s'agit bien d'un individu habitué à vivre dans la nature, n'ayant pas accès au luxe de l'eau courante et des installations sanitaires de la ville. C'est un individu fort physiquement, sans que le dessinateur ait besoin de montrer ses muscles, ténébreux, du fait du bandeau qu'il porte sur les yeux, avec une forme de résignation dans sa posture, comme s'il était accablé par la certitude de ne jamais trouver le repos. le lecteur apprécie également la forte présence visuelle des autres personnages. Comme à son habitude, Powell dose avec précision les ingrédients graphiques, réussissant à allier une forme de réalisme (la tenue du pauvre trappeur), avec une fibre tragique ou horrifique (la fatigue du trappeur, le rictus de la sorcière) et un zeste comique qui ne vient pas contredire la dimension tragique. En regardant le trappeur, le lecteur voit un individu pauvre, subsistant tant bien que mal grâce à une maigre chasse, accablé par la fatigue, sur les nerfs, mais aussi une représentation affectueusement moqueuse qui reconnaît qu'il s'agit d'un plouc. le lecteur y voit plus du respect que de la condescendance, car Eric Powell reconnaît la dureté de cette vie proche de la nature, reconnaît l'effort de l'individu.

Le lecteur vient également pour la vitalité et l'inventivité des créatures surnaturelles. Il est servi avec la malice méchante de Tailypo, avec la masse de la créature qui transporte ses 2 prisonniers sur son dos, avec la cruauté de Maggie la sorcière, avec la sauvagerie du loup géant, avec la veulerie de Judd Hogslopp et avec le décharnement des 3 sorcières finales. Powell n'a rien perdu de sa dextérité pour donner vie à ces créatures, à les rendre naturelles et évidentes dans le cours du récit, et à leur faire irradier leur méchanceté innée. Comme à son habitude il met en scène des affrontements aussi rapides que violents, où un coup s'avère décisif. Comme dans le premier tome, il en développe un plus que les autres, celui contre le loup géant, avec des cases plus grandes pour laisser s'exprimer l'ampleur de grands mouvements et la violence des chocs. le lecteur apprécie au premier degré la catharsis que représente ces affrontements physiques, où le bien peut ainsi triompher du mal grâce à un coup de couperet définitif et bien placé.

En termes d'intrigue, le lecteur n'a pas l'impression d'un schéma répétitif ou d'histoires trop réduites à leur plus simple expression. Dans la première, il apprécie le sadisme de Tailypo à l'encontre du trappeur, ainsi que la réflexion qui permet à Rondell de prendre le dessus. Dans la seconde, il se retrouve émotionnellement impliqué dans la naissance de la relation contre nature entre Rondell et Lucille, et dans la valeur sur laquelle elle repose. Dans la troisième, il se laisse complètement emporter par cette vision mystique, à la dimension spirituelle. Dans la dernière, il est un peu plus déstabilisé car finalement le personnage principal n'est pas Rondell, mais James Stoneturner. Il espère alors que ce personnage reviendra dans un prochain épisode. Dans tous les cas, l'auteur réussit à surprendre le lecteur, et à délivrer son quota de divertissement et de dépaysement.

Le lecteur part avec un a priori négatif contre les 2 histoires courtes car ce n'est pas pour elles qu'il a acheté ce tome. Il est déjà un peu rassuré quand il constate qu'elles ont été écrites par Eric Powell, ce qui assure qu'elle reste dans la tonalité des histoires des 4 épisodes, et qu'elles s'intègrent parfaitement dans la mythologie développée. Steve Mannion ne dessine pas comme Eric Powell, et il a choisi d'utiliser une seule couleur. Mais le lecteur apprécie sa verve visuelle et se dit que la narration visuelle reste dans la veine de celle de Powell, avec une approche plus détaillée, mais toute aussi facétieuse. Simone di Meo se montre plus appliqué dans le traçage des contours, et plus porté à l'exagération comique des formes. Cependant il conserve lui aussi la tonalité des aventures de Rondell, avec une narration plus appuyée sur la farce. Ces 2 récits ne sont pas indispensables, mais ils déparent pas dans le recueil.

Ce deuxième tome savoure aussi efficace et savoureux le premier, avec des histoires rondement menées, mélangeant une forme de drame et de conte surnaturel, dans lequel les créatures maléfiques reçoivent le sort qu'elles méritent.
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