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Critique de Sharon


Ce livre est définitivement mon coup de coeur pour la rentrée littéraire 2022. C'est ensuite que vient la charge d'expliquer pourquoi ce roman est mon coup de coeur, et prévoir aussi certaines critiques qui me seraient adressées, que ce soit sur mon blog, ici ou que ce soit dans la vie. Oui, il m'arrive de recommander certains livres et après l'on me le reproche parce que les livres sont trop violents.
Mais à quoi le lecteur qui choisirait de lire ce livre pourrait-il s'attendre ? A un roman à l'eau de rose ? Il s'agit de la disparition d'un enfant, de la dépression profonde dans laquelle sombre la mère des trois enfants – aux yeux de sa fille Bert, leur mère a oublié qu'elle avait deux autres enfants et qu'eux aussi avaient besoin d'elle – et de la disparition de leur père. le mot « disparition » est à prendre au sens propre du terme, non en une manière d'adoucir la mort. Earl, le père des trois enfants, a disparu des radars. Bert savait que son père vivait de trafic, avec son propre frère comme complice. Elle savait qu'il partait pour une durée indéterminée, et justement, au moment où Pansy a disparu, il devait revenir prochainement, parce que ses absences avaient toujours une durée maximale. Alors oui, la présence des policiers n'est pas pour faciliter son retour, les soupçons non plus – peut-être ce père fuyant est-il pour quelque chose, même si tout allait bien dans cette famille.
La disparition de Pansy, c'est une disparition parmi d'autres disparitions d'enfants. Certaines seront élucidées, d'autres non, et il ne faut pas oublier que Pansy est blanche. Non, ce n'est pas anodin du tout dans le Mississippi du XXe siècle. Sa mère passera au journal télévisée, et je sais très bien que si elle avait été afro-américaine, jamais elle n'aurait été assise à la télévision, à côté d'une journaliste, jamais elle n'aurait pu adresser un appel au ravisseur.

Ce que j'ai aimé aussi dans ce roman, c'est qu'il nous renvoie à plusieurs époques. L'esclavage – et les maîtres qui ne comprennent pas le désir de liberté de ses esclaves qui leur doivent tout, y compris les coups qu'ils prennent quotidiennement, pour leur bien. La guerre de Sécession. Les guerres qui traversent le XXe siècle. Tous ses retours en arrière nous montrent le racisme. Il est des scènes qui sont absolument insoutenables à lire, des scènes qui me hantent encore, parce qu'il ne faut pas se leurrer : les actes atroces qui nous sont racontés sont encore possibles, puisqu'elles l'ont été. Et, quand vous aurez lu ces scènes, vous reviendrez en arrière, et vous comprendrez mieux d'autres faits contés dans ce récit.
Il est question aussi de la condition féminine dans ce roman. A une époque où le droit à l'avortement est remis en cause aux Etats-Unis, il est bon de rappeler que, quand il a été instauré (et même sans doute encore maintenant), il n'était pas forcément possible, quand on n'en avait pas les moyens, quand on était trop éloigné de tous les centres médicaux, quand on ne veut pas que cela se sache, de subir un avortement. Il n'existait alors que deux solutions : un avortement clandestin (ou comment se transmettre les adresses qu'une femme se devait de connaitre) ou l'adoption de l'enfant (en menant une grossesse la plus discrète possible). Il est question aussi de toutes les souffrances que les femmes ont tu, et elles sont très nombreuses dans ce roman. Qui les aurait écouté ? Et même en ce moment, où l'on parle de la libération de la parole, j'ai peur qu'on n'écoute pas toujours/pas vraiment les femmes, voire qu'on leur demande très vite de se taire à nouveau, pour ne surtout pas déranger.
Transmission, le mot est là, la grand-mère paternelle de Bert tient à lui transmettre tout ce qu'elle sait, tout ce qui ne sera pas forcément avouable non plus, et, au fil du temps, Bert en découvrira de plus en plus sur le passé de sa famille. La transmission est là aussi dans les prénoms de Roberta et de Willet, qui sont ceux de leurs grands-parents maternels, morts bien avant leur naissance. Bert déteste son prénom, ce que sa mère ne comprend pas, et ce que certains romanciers qui manquent d'imagination ne comprendraient pas non plus : je ne compte plus les oeuvres où l'on donne à la petite-fille le prénom de la grand-mère parce qu'on n'a pas pensé à un prénom – pour une fille. Cependant, ce choix prendra sens, fera sens dans le roman, puisque Bert vit son prénom comme un poids – et est heureuse quand un enfant reçoit un prénom juste « pour soi ». Et Bert, de s'interroger à son tour sur ce qu'elle souhaite transmettre, elle qui n'a jamais cessé de chercher sa soeur et de chercher son père, comme si les deux disparitions, qui ont eu lieu en même temps, était indissociable.
Lien : https://deslivresetsharon.wo..
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