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Critique de Kirzy


« J'avais été une enfant sage. Obéissante, serviable, respectueuse de mes aînés. J'avais lu la Bible. J'avais déposé des pêches dans les paniers comme si chaque fruit était fait du verre le plus fin. Grâce à moi, la maison était toujours propre, les ventres pleins, le linge plié, la ferme tenue. Je ne posais pas trop de questions, ne laissait personne m'entendre pleurer. J'avais appris à grandir sans mère. Puis j'avais croisé par hasard un inconnu crasseux au carrefour de la Grand-Rue et de la North Laura et j'étais tombée amoureuse. Tout comme une seule averse suffit à éroder les berges d'une rivière et à en changer le cours, un événement unique dans la vie d'une jeune fille peut effacer ce qu'elle était auparavant. »

Lorsqu'on fait connaissance de Victoria, nous sommes en 1948. C'est une jeune femme de 17 ans qui n'est jamais sortie d'Iola, petite ville rurale du Colorado nichée entre montagnes, forêts et rivière Gunnison. Avec simplicité et évidence, elle se dévoue pour sa famille ( son père, son oncle, son frère ) et le travail dans les vergers pêchers. Elle a tout à découvrir de la vie. Et c'est son coup de foudre pour Will, un Amérindien vagabond qui va en bouleverser le cours.

Dans ce roman initiatique extrêmement touchant, impossible de ne immédiatement s'attacher à Victoria.  Shelley Read compose un de ces magnifiques personnages féminins qu'on peine à quitter une fois la dernière page lue ( j'ai pensé à Kya dans Là où chantent les écrevisses ). Son passage à l'âge adulte se fait dans la tragédie : tragédie du passé ( la mort d'une partie de sa famille lorsqu'elle était enfant ), tragédie du présent ( chut ) qui la poussera à prendre une décision de femme, tragédie du futur ( annoncée dans le prologue avec la disparition de la ville d'Iola, submergée par la construction d'un réservoir d'eau ). On la voit grandir de 1948 aux années 1970, se construire, seule, dans un monde d'hommes.

« Les paysages de notre jeunesse nous façonnent, et nous les portons en nous, riches de ce qu'ils nous ont donné, nous ont volé et de ce que nous sommes devenus. »

Le roman a des accents très « romance » avec un amoureux un peu trop parfait. Des accents très mélodramatique aussi, parfois trop outrés avec un frère un peu trop ignoble ; et un hasard qui fait un peu trop bien les choses dans le dernier quart pour qu'on y croit totalement. Mais ces facilités scénaristiques passent parce que c'est Victoria qui raconte depuis son point de vue, avec ses souvenirs forcément idéalisés ou dégradés par la patine du temps qui fait sa sélection. Oui, c'est chargé, avec des thématiques lourdes ( notamment le racisme à l'égard des Amérindiens ), mais oui tout passe.

Et puis, il y a ces passages très nature writing que j'ai vraiment adorés. La nature, celle de la forêt, de la rivière, du verger, est décrite de façon vivante, lyrique en faisant un personnage à part entière. C'est elle qui, enveloppe Victoria jusqu'à la symbiose, jusqu'à la sauver en l'accompagnant dans son devenir de femme fière de ce qu'elle est et assurée dans ses décisions, en paix.

« Go as a river » nous dit le très beau titre, incantatoire, mantra de Victoria qui incarne magnifiquement son chemin de résilience.
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