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Critique de alouett


Yémen, de nos jours.

Intisar est une jeune femme yéménite. Elle réside à Sanaa et travaille en tant qu'anesthésiste en milieu hospitalier. Elle vit avec sa mère, adore son jeune frère (21 ans), fume et écoute Beyonce et Rihanna. Mais ce qu'elle aime plus que tout, c'est de conduire sa voiture durant des heures.

Une vie à « l'occidentale » ? Non, loin de là. Intisar est soumise aux règles d'une société patriarcale. Dans chaque foyer, le chef de famille décide du devenir des femmes de son clan ; sa décision s'impose en matière de mariage, de démarches administratives ou encore d'emploi. S'il a décrété que le travail exercé par sa femme, sa soeur ou sa fille portait atteinte à son honneur, il peut lui interdire de poursuivre son activité professionnelle… elle devra se plier à cette décision. Si le chef de famille est absent, il délègue son rôle à un autre homme du clan. Ce dernier devient alors Wali.

« Au Yémen, les femmes dépendent d'un Wali. Généralement, c'est un homme de la famille : le mari, le père, le frère, l'oncle… c'est selon. Wali, ça veut dire Gardien : le terme donne une idée de ses attributions. C'est lui qui nous donne la permission de faire les choses. Il doit donner son accord pour tout ce qu'on fait. C'est comme ça pour les femmes, ici. On nous traite comme si on était mineures à vie ».

En préface, Pedro Riera explique la manière dont il a procédé et l'objectif qu'il souhaitait atteindre avec cet ouvrage : « Nous avons donc réalisé une quarantaine d'entretiens avec des femmes yéménites. Parmi tous les témoignages que nous avons recueillis, une demi-douzaine d'histoires personnelles auraient pu servir pour écrire cet album, mais il y avait un risque : si un homme reconnaissait sa soeur, sa femme ou sa fille dans le personnage principal du roman graphique, et le prenait comme une atteinte à son honneur, elle se serait retrouvée en danger. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'écrire un scénario en le construisant à partir de fragments d'histoires et d'anecdotes que j'ai consignée dans mon carnet tout au long de mon séjour au Yémen, sans jamais perdre de vue les intérêts, les frustrations, les craintes et les espoirs que partageaient la plupart des femmes interviewées ».

Intisar est donc un personnage totalement fictif, un patchwork de personnalités réelles illustrant le quotidien des femmes yéménites. Rares sont celles qui ont l'opportunité d'aller à l'étranger pour étudier voire de pouvoir s'y installer définitivement. Comme nombre d'entre elles, Intisar porte hijab et niqab. Une privation de liberté ? En quelque sorte, si ce n'est que l'on découvre avec plaisir le fait que ces femmes ont su y trouver des avantages :

« Dans le Coran il n'est écrit nulle part qu'on doit se couvrir le visage. Personnellement, je ne connais aucune femme qui porte le niqab par conviction. Il y en a qui le mettent parce que leur mari ou leur père les obligent. Mais dans beaucoup de cas, c'est pour éviter d'être emmerdées dans la rue. (…) C'est pour ça qu'ici les femmes se sentent plus libres avec un niqab, parce qu'elles peuvent sortir dans la rue sans qu'on leur casse les pieds. Et on ne peut pas nier que le niqab a certains avantages : ça permet de faire des choses interdites sans que personne ne le sache. Qui va te reconnaître sous ton déguisement de ninja ? ».

Seul grief que je porterais à cet ouvrage : la découpe du récit en 24 chapitres de longueur variable. L'inconvénient majeur : le rythme du scénario en pâtit. En revanche, Pedro Riera parvient à en tirer profit puisque cette cette forme narrative lui permet de mettre en valeur autant d'anecdotes qu'il y a de chapitres. Ainsi, on est face à 24 petites morales d'histoires et autant de dénouements qui prennent sens dans les dernières cases de chaque scénette et forcent à réfléchir sur la condition des femmes dans ce type de sociétés. Les sujets traités sont vastes : importance des coutumes et de la religion, liberté d'expression, corruption… ainsi que les notions de respect, d'honneur, de dignité…

Côté graphique, le travail de Nacho Casanova est surprenant. Face aux illustrations qui introduisent chaque chapitre, ma première réaction a été de trouver son dessin délicat voire timide. le trait est fin, minutieux ; l'auteur semble avoir porté une attention importante à chaque illustration. Des petits traits, des petits points viennent donner le dernier détail d'un relief ou d'une courbe. Une fois la page tournée et la scénette engagée, le lecteur est face à une toute autre ambiance. La découpe des planches est assez classique et le dessin s'attarde moins sur les détails décoratifs. L'utilisation des trames vient compléter les visuels et leur donner du relief. Ces trames font ressortir un ou deux attribut graphique par case (un vêtement, une chevelure…). Sans pouvoir l'expliquer, je trouve que ces trames apportent de la modernité à cet univers rétrograde… et si l'on y associe le franc-parler d'Intisar, cela renforce l'impression que l'on est face à une jeune fille normale qui évolue dans un contexte qui ne l'est pas… mais qui s'en accommode.
Lien : http://chezmo.wordpress.com/..
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