AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de RogerRaynal


Ce recueil de nouvelles comporte cinq récits écrits à la fin du 19e siècle, entre 1889 et 1892. 

Peu connu en France, Kôda Rohan fait partie des romanciers qui ont refondé les lettres japonaises, agrémentant leurs récits modernes de tout un appareil traditionaliste. Cela s'exprime par de fréquents recours à des expressions issues du bouddhisme zen et des références à des oeuvres classiques, heureusement éclaircies par un glossaire très fourni.

Les cinq nouvelles ici réunies ont des styles assez différents, mais elles comportent toutes au moins un élément fantastique prenant des légendes japonaises ou chinoises.

Celle qui donne son nom au recueil illustre l'adversité entre un maitre architecte reconnu et un modeste artisan qui concourent tous deux pour la construction d'une pagode. Tous deux sont honorables, aucun ne peut être vu comme étant une image du bien ou du mal, pourtant ils vont s'opposer, se déchirer malgré le poids d'une étiquette et d'une mission qui leur impose un strict respect mutuel. Cette nouvelle célèbre a par la suite donné lieu à une pièce de théâtre, et même à une adaptation cinématographique. C'est la plus célèbre, et la plus renommée, de l'auteur.

J'ai pourtant autant apprécié « face au crâne », racontant les aventures et les réflexions d'un voyageur perdu dans les montagnes et trouvant un secours sur lequel il ne comptait pas en la personne d'une femme aussi seule que troublante. « Le bouddha d'amour », premier des textes, est empreint d'une grande poésie dans ses titres de chapitres et ses références, et renouvelle quelque peu le mythe de Pigmalion. La fin en est par contre un peu trop mystique à mon goût, mais on reconnait là une des particularités de l'auteur, initié au Zen.

Il ne faudrait toutefois pas voir Kôda Rohan comme un austère moine devenu écrivain : ses récits sont parfois humoristiques (lorsqu'un de ses personnages conseille à un autre de lire les livres de l'auteur, ou lorsqu'il commence son recueil en racontant les difficultés qu'il a eues pour l'écrire) et même franchement irrévérencieux, comme « venimeuses lèvres de corail », où une héroïne hardie règle son compte à toute la bondieuserie bouddhiste et à ses superstitions.

J'avouerai toutefois que la dose de références bouddhique devient, rarement, réellement pesante : je n'ai pas réussi à aller au bout de la courte nouvelle « la lettre cachetée », mettant en scène un ascète poursuivi par sa fille abandonnée et affrontant tout un panthéon de créatures mythiques. 

Le livre lui-même, paru dans la collection Japon des belles lettres, est d'un format agréable, imprimé sur un papier de qualité (cela devient rare) et la couverture comporte deux rabats pouvant faire office de marque-page. le texte est accompagné d'un appareil critique intéressant (postface, repères bibliographiques et biographie détaillée) dont on peut toutefois se dispenser pour apprécier simplement les textes et le style de Kôda Rohan. La traduction de Nicolas Mollard est d'une grande qualité. La couverture est une illustration (« pagode à nikko » de Itô Yûhan) qui sied parfaitement au sujet principal du livre et à son atmosphère.

Toutefois, il y a un défaut qui apparaît très vite à la lecture : regrouper les termes spécifiques japonais ou bouddhiques en fin d'ouvrage est tout sauf pratique : dans la mesure où ils n'apparaissent qu'une fois dans le récit, un système de notes de bas de page aurait été bien plus pratique, dispensant le lecteur de très fréquents aller-retour entre sa nouvelle et la fin de l'ouvrage. C'est dommage pour le confort de lecture, d'autant que j'ai réellement apprécié la grande majorité de ces nouvelles remarquablement écrites où le fantastique, la poésie et la tradition se mêlent à une bonne dose d'irrévérence et d'autodérision sur le fond de la vie quotidienne dans un Japon prenant son essor industriel.
Commenter  J’apprécie          10







{* *}