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Critique de EvlyneLeraut


Sombre et grandiose, d'ombre et de lumière, tremblant de pluie, d'éclaircies, d'une beauté bouleversante. Déchirant et fondamental, « Les chiens de la pluie » est un roman viril, âpre, urbain et audacieusement politique. Profondément humain, il métamorphose nos sens et nos interpellations, nos palpitations intérieures. Il ne laisse pas indemne, tant sa trame viscérale, qui ne lâche rien, tempétueuse, douloureuse est hypnotisante.
Ce kaléidoscope polyphonique, sans fausses pistes ni ruelles et impasses, juste avec cette réalité qui assume et ne change pas une seule seconde d'un évènementiel dont Ricardo Romero sait décrire avec brio, justesse, dans cet implacable qui acclame la sociologie, les philosophies intérieures, les cruautés véritables d'une ville en l'occurrence Paranà. L'arborescence d'une Argentine cruellement en souffrance.
Ricardo Romero marche dans les pas des protagonistes, très proches de nous. Un peu comme une mise en abîme, un flash qui éclaire une ville en décadence.
Ici, l'idiosyncrasie est implacable. Paranà devient un symbole des tristesses infinies, des douleurs prégnantes. Êtres en perdition, solidaires et combattants. La pluie qui s'abat, sauvage et rebelle, signifiante et violente est une parabole. D'eux, des égarés dans les limbes d'une Argentine torrentielle.
« Bien qu'en réalité il se peut qu'il ne l'ait jamais aimé, se disait-il. Que pouvait-il connaître de l'amour, lui, habillé comme il l'était, avec ce sac noir comme un nuage noir au-dessus de sa tête ? »
Baltasar qu'on aime de toutes nos forces, « à la recherche de son médicament : la nostalgie », le dos courbé par les mélancolies vives et insistantes. Il marche en quête du pain noir que l'on jette aux chiens. Fuir, devenir ombre parmi les ombres. Ses semblables, protagonistes emblématiques d'une ville écartelée dans sa misère, le crime et la soif d'amour. Comme ce livre est hors du commun, en mouvement, aiguilles au cadran de l'éminent et de l'exactitude des gestuelles, des regards et de cette pluie lourde et serrée qui fait la guerre et révèle le monde caché au grand jour. Une déambulation dans les entrailles d'une ville à bout de souffle.
« Le ciel plus noir à force d'être rouge et plus rouge à force d'être noir. »
Vicente et Manuel, en recherche de leur chien Duque, égaré dans le labyrinthe. Profondeurs abyssales d'une séparation qu'ils se refusent. « Il pressentait que cet écho serait sans fin. »
L'exil, sésame ou turpitude, manteau noir gorgé de boue sur les épaules frigorifiées, tempête rebelle et intestine.
Ce livre est le monde, les perditions et à contrario les plus belles humanités car pudiques, sincères et lucides. On aime ce texte serré comme un café fort, virulent et orageux. Dans ces rais perce la magnanimité qui est une des plus belles des qualités humaines. La richesse des rencontres fortuites. La fraternité liane, et chaque seconde étonne par son ralenti, comme un film en noir et blanc en devenir. Au travers, l'intimité d'aucuns et l'obsession cardinale des survivances.
« Ça s'appelle l'Arche de Noé ».
Ce livre estimable et estimé, remarquable et remarqué, brillant est un halo dans la nuit noire. « Les chiens de pluie »,existences anonymes, hommes battus par les courants d'air d'une vie tourmentée et acide. Magistral et essentiel. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik. Publié par les majeures éditions Asphalte.
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