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Critique de Courrege


Encore un petit livre, certes petit par le nombre de pages mais tellement grand en intensité.

Je reprendrais bien volontiers un célèbre slogan publicitaire « le poids des mots, le choc de la photo ». Choc de la photographie de couverture, couleur sepia – signe d'un temps passé –représentant une femme en train d'allaiter un enfant, symbole d'osmose, d'amour, de lien. La lecture du livre démontrera que ce n'est si évident que cela.

Plongeons maintenant dans ce livre à l'écriture percutante. C'est à la fois émouvant et juste, lumineux et poignant. Impossible de rester indifférente à cette lignée de femmes blessées par la vie !

C'est le premier roman de Juliette Rousseau, un roman intimiste abordant des sujets difficiles avec franchise et avec beauté. Entre une écriture autobiographique et parsemée de poésies, Juliette Rousseau nous offre un texte magnifique et bouleversant pour parler entre autre du deuil de sa soeur, décédée d'un cancer généralisé à 33 ans. Cette grande soeur trop tôt disparue. La tristesse et l'amour qu'elle lui porte sont saisissants. « En partant, tu as fermé derrière toi une porte infiniment lourde, qu'il nous coûte d'ouvrir. Ne nous en veux pas si nous l'avons si longtemps laissée fermée, il n'est pas aisé de survivre à celle qu'on aime ». « Au contraire, en me quittant, tu m'habites un peu plus ». « Tu m'y décris comme un énorme plat de spaghettis dégoulinants » : notons quand même que les relations sont ambiguës entre les deux soeurs. L'auteure utilise le « tu » pour s'adresser à elle - il n'y a aucun prénom dans tout le roman - , elle lui redonne une seconde vie, un second souffle. Elle perpétue sa mémoire et lui raconte sa propre vie sans elle. « le retour des hirondelles, c'est la vie têtue » : la vie qui continue malgré tout. La présence des hirondelles près de la maison d'enfance ? « C'est toi, qui ne m'a pas complètement quittée. » « Toi qui perdures, et toi qui gagnes, malgré la mort. »
Juliette Rousseau nous raconte également ce qu'il advient de celles et ceux qui restent, des trajectoires de chacun pour surmonter la perte. Un texte pour parler de ses racines, des histoires de famille, des parcours de générations de femmes face à la violence du patriarcat. Il y est question de la maternité, très souvent subie, rarement décidée. Il y est question d'oppression, d'émancipation, d'amour, de sororité, de deuil. Chacune de ces femmes possède une histoire bien particulière : nous découvrons leurs imbrications dans leurs vies respectives sans chronologie aucune. Avortement, trouble alimentaire, viol conjugal, autant de drames qui ont créé des non-dits dans cette famille. C'est un bel hommage de l'autrice à la force des femmes de sa famille : à sa soeur disparue certes, mais aussi à toutes les autres femmes, « Maman et nous, c'est l'histoire d'un amour infaillible et inconcevable à la fois. »
« Nous sommes les héritières d'une détermination farouche, nous les descendantes des avortements ratés, des grossesses imposées ». « On se représente à tort la famille comme cette entité bien délimitée, immuable, soudée par un terreau biologique. Or c'est un terrain fluctuant, en partie instable, en recomposition permanente ». « La douleur la plus vive est cruelle, et c'est mentir que de dire qu'elle rassemble. En vérité, elle atomise ». Qu'en dîtes vous ? C'est tout simplement puissant : quelle force dans les mots, dans les sentiments. Quelle claque, quelle maestria, quel talent !

Les chapitres sont courts, denses, à fleur de peau, les mots choisis avec soin : fulgurance des mots, des fragrances, des paysages, des bruits et des voix. le récit est parsemé de poèmes lumineux qui reconnectent à la vie, entravée par le deuil impossible. Rien n'est vraiment dit dans le détail, tout est suggéré.

« Je dédie ce texte à mes parents, Françoise et Yves. Merci de m'avoir appris à aimer, imparfaitement mais sans relâche » : c'est cela aussi la force des liens du sang et l'acceptation de l'imperfection des êtres.

Un texte profondément poétique et engagé, une très belle découverte.
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