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Critique de HordeDuContrevent


Ce livre a la couleur du remord, jaune soleil, jaune sable, jaune pisse, il a son odeur, à la fois fade et aigre, tenace, sa consistance, gluante. Il distille à son lecteur un vague à l'âme poisseux. Une saudade, qui n'a pas la douceur et l'élégance de la saudade portugaise, une saudade plus âpre, plus désespérée, plus cinglante. Une saudade brésilienne, lancinante et obsédante, sincère, à mille lieux de tout réalisme magique sud-américain.

« Et me revoilà ici, dans les fils emmêlés qui relient le début à la fin »

Oseais revient dans sa ville natale au centre du Minas Gerais, là où il a grandi enfant avec ses parents, ses trois soeurs et son frère. La dernière fois qu'il est venu c'était lors de l'enterrement de leur mère il y a vingt ans, cette mère à qui il n'a jamais présenté sa femme et son enfant. Il n'a désormais plus rien, ni travail, ni maison, ni femme, ni enfant. Un raté, voilà comment il se voit, comment il s'estime être. Éreinté, le corps en décrépitude, au bout du rouleau, il erre durant six jours dans sa ville à la recherche de gens du passé, de souvenirs d'enfance, perclus de remords…et s'il était resté, comment serait sa vie aujourd'hui ?
« Remords » est le portrait d'un homme en errance, d'un homme malade, le portrait également d'une petite ville brésilienne avec ses vies précaires, ses arrangements médiocres, ses petits restaurants crasseux, ses hôtels miteux.

« La ville est laide, sale, pue la pisse. Les ordures se répandent dans les caniveaux. Mendiants et camelots se disputent les passants. Dans les bistros, bars et restaurants, des téléviseurs allumés hypnotisent la clientèle ».

Une ambiance plombée renforcée par le style d'écriture très particulier de Luiz Raffato qui peut dérouter mais dans tous les cas ne laisse pas indifférent : Étonnantes ces phrases primesautières, lapidaires, très courtes, sèches qui s'enchainent jusqu'à l'asphyxie lorsque nous voyons Oseais accomplir spontanément les gestes du quotidien ; phrases qui deviennent plus construites, plus riches dès que les souvenirs affluent où dès qu'une rencontre se fait, qu'un dialogue s'instaure. C'est très intéressant, nous assistons à un réel antagonisme entre un présent en accéléré avant une fin que nous devinons proche, présent accentué par la mise en valeur de scènes répétitives - notamment de scènes urinaires, de scènes de toilettes, de scènes de repas abjects, comme si l'auteur voulait souligner à quel point manger (ou vomir), uriner, déféquer prenaient une bonne partie de notre temps, gestes primaires, souligner l'absurdité d'une vie dans ce qu'elle a de plus animal - ; et les souvenirs narrés de façon plus lente afin de mieux en extraire la substantifique moelle et toute l'humanité. La densité pour exprimer le quotidien indigne et la fluidité pour raviver ce qui fonde notre humanité : l'amitié, l'amour, la famille, l'enfance…

« J'enfonce un doigt dans ma gorge. le jet jaillit. Je me dissous dans un vomi acide. Je me redresse. Je tire la chasse. Je me rince la bouche. Je me lave le visage. Je me mouille la nuque. Mes mains tremblent. Mes jambes tremblent. Je m'essuie. J'éteins la lumière. Je longe le couloir. J'entre dans la chambre, ferme la porte à clé. Je m'écroule sur le lit. Quelque part un chat miaule désespérément la fenêtre j'ai oublié la fenêtre [ ] bruit du portail [ ] Je me réveille en sursaut. le soleil, haut, brûle la peau de ma jambe gauche, à nu. ».

Au-delà de la question des racines et du déracinement propre à toute migration, ce livre met en valeur certains maux de la société brésilienne comme la présence de différentes classes sociales qui divisent la société, parfois comme ici au sein d'une même famille, classes sociales qui n'arrivent plus à dialoguer, qui sont devenues des planètes errantes prêtes à « entrer en collision et à se détruire ». Louiz Raffato souligne également les problèmes de communication dans les familles lorsqu'un drame est survenu et que le deuil n'a pas été fait.
Il montre une société à bout de souffle dans laquelle les intérêts et les calculs ont remplacé l'amour, dans laquelle la lutte contre le vieillissement place mères et filles dans une relation de concurrence. Ce sont des constats amers et glaçants faits par Oseais qui n'existe déjà plus dans ce simulacre de vie, à se demander s'il n'existera pas davantage lorsqu'il sera mort…


« Remords » est le roman de toutes les personnes qui ont un jour quitté leur terre natale, ou tout simplement déménager loin, le roman des exilés, et qui, sentant leur fin proche, reviennent en pèlerinage sur les lieux de leur passé afin d'y retrouver des traces de soi, des restes d'enfance, des bouts purs de jeunesse, des éclats frais d'innocence, des empreintes de dignité, le début du chemin lorsque tout était encore possible. Son identité. Une saudade lancinante et sombre sertie par le style singulier de l'auteur qui magnifie cette errance tout en la plombant d'un réalisme noir qui n'a rien, mais rien de magique.
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