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Critique de GeorgesSmiley


Formidable ! Allons à l'essentiel. Dans l'Empire Whiting, déclin ou pas, ce sont les femmes qui portent la culotte. De terribles viragos capables de pousser les inconscients ayant osé un jour leur dire « Oui, ma chérie » à les poursuivre pour les trucider à coup de pelle ou bien à se supprimer eux-mêmes comme le regretté (sauf par sa veuve) Charlie. C'est aussi drôle pour le lecteur que tragique pour les infortunés mâles de cette famille fortunée qui possède l'essentiel de la ville d'Empire Falls.
" J'ai dit..., avait commencé une troisième fois sa future épouse.
_ Oui, ma chérie. Excellente idée", avait convenu Charles Beaumont Whiting, qui, en cet instant fatidique, était devenu Charlie Whiting. Plus tard, bien plus tard dans sa vie, il allait s'amuser de cette remarque, plutôt désabusée, qu'il avait toujours eu le dernier mot lorsque son épouse et lui s'étaient trouvé des opinions divergentes, et que ce dernier mot - il y en avait en fait trois - était : "Oui, ma chérie." S'il avait dû savoir combien de fois il allait répéter cette locution à cette femme, savoir que ces trois mots allaient devenir le mantra de leur mariage, il se serait peut-être rappelé l'invitation du fleuve, s'y serait jeté hic et nunc pour suivre en aval l'orignal, en s'épargnant ainsi un monde de souffrances et le prix du revolver qu'il achèterait trente ans plus tard pour mettre fin à ses jours.
" Et voudrais-tu éteindre cet immonde cigare, je te prie ?"
La veuve possède et régente la petite ville comme la petite vie de beaucoup de ses habitants, en particulier celle de Miles, le gérant du grill qu'elle laisse vivoter avec la plus extrême mesquinerie. Pauvre Miles. Sa femme le quitte pour un bellâtre qui vient faire le fier à bras au grill en se moquant de lui. Sa fille, qu'il adore, ne lui adresse la parole que par onomatopées. Son père indigne ne vient le voir que pour lui soutirer ou lui voler le peu d'argent qu'il détient et Charlène, la jolie serveuse dont il est amoureux depuis vingt ans, enchaîne les mariages ratés à peu près au même rythme qu'il retourne ses burgers sur son grill pendant que le flic local ne songe qu'à lui chercher noise. Un loser, un raté ? Non, un homme bien, doté d'une trop mauvaise main pour pouvoir gagner au poker de la vie, mais un personnage finalement très attachant.
La tension monte lentement jusqu'à ce que la colère finisse par rattraper certains des personnages en surprenant le lecteur qui ne l'a pas bien vu venir. C'est tellement bien raconté que la vie quotidienne se suffirait à elle-même. On y prend un plaisir étonnant avec une empathie croissante pour les occupants, Walt le frimeur excepté, de l'Empire grill. Amours déçus, occasions ratées, déclin industriel, jeunesse envolée et gâchée. Drôle, tragique, amusant, ironique ou cruel, c'est un récit passionnant où tout est remarquablement dépeint. La lutte déséquilibrée de quelques personnages dignes et courageux par moments, contre la méchanceté, la bêtise et la cruauté qui les cernent. J'ai adoré. Alors, pour convaincre les hésitant(e)s, de découvrir eux-aussi la petite ville d'Empire Falls, à l'opposé des paradis inaccessibles à Miles de Camden ou de Martha's Vineyard, laissons opérer le talent de l'auteur.
« La mi-temps terminée, les équipes de Fairhaven et d'Empire Falls reprenaient place sur le terrain. Janine s'efforça de paraître intéressée, optimiste. Pourtant, voyant les cheerleadeers pirouetter en rythme, elle ne put s'empêcher de penser que, plus tôt qu'à leur heure, elles seraient aussi mariées, enceintes de ces garçons casqués ou de ceux d'une ville voisine. Que cette vie, aussi vite, s'abattrait sur eux. La panique, d'abord, d'y être confrontée seule, puis un mariage précoce pour déjouer ce lugubre destin, suivi par les innombrables mensualités de la voiture et de la maison, et les notes du médecin, et le reste. le plaisir qu'ils prenaient à ce sport brutal s'éclipserait lentement. Ils graviteraient dans des bars semblables à celui de Bea pour échapper aux mêmes filles, celles-là sur le terrain, puis aux enfants que, ni eux, ni elles, ne seraient assez intelligents, ou indépendants, pour éviter. Il y aurait la chaîne sportive sur le grand écran TV de la taverne, de la bière en abondance, et ils parleraient encore quelque temps d'aller jouer, mais s'ils le faisaient, ils se blesseraient, et rapidement leurs blessures deviendraient synonymes de leur « état physique » et ça serait terminé. Leurs jobs, leur mariage, leur vie, tout ça, une corvée. Une fois par an, pris d'un coup de folie, ils grimeraient leurs visages, s'entasseraient dans les minivans de leurs femmes, et, s'ils en avaient les moyens, ils prendraient la route pour voir un match des Patriots. le match terminé, à moitié saouls, ils rentreraient chez eux, personne n'ayant assez d'argent pour dormir sur place. C'est-à-dire chez eux à Empire Falls, si cela existait encore.
Les plus aventureuses ou les plus désespérées de leurs épouses profiteraient de leur brève absence pour engager une baby-sitter et chercher au Lamplighter Motor Court un autre de ces hommes-enfants, tous plus ou moins bourrés en permanence, au détriment de leurs érections. Elles voudraient trouver un petit aperçu de la route qu'elles n'avaient pas prise, pour découvrir que c'était en fait les mêmes deux voies bitumées et minables qu'elles suivaient depuis le début, excepté ce tronçon-là, méconnu, qui de toute façon menait à une destination semblable. »
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