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Critique de jvermeer


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« Restons bohémiens cher oeil noir, afin de rester artistes ou amoureux, les deux seules choses qu'il y ait au monde. L'amour avant tout, n'est-ce pas ? L'amour avant tout quand l'astre est en pleine lumière, l'art avant tout quand l'astre décline. Tout cela n'est-il pas bien arrangé ? »
Cet extrait de lettre de Georges Sand à Eugène Delacroix de septembre 1838 résume bien les passions de la femme de lettre : l'amour et l'art.


Les deux artistes font connaissance en novembre 1834, à l'occasion d'une commande d'un portrait de Georges Sand par Eugène Delacroix pour la « Revue des Deux Mondes » à laquelle Georges Sand collabore.
Je me souviens de l'une de mes visites à l'ancienne demeure de Delacroix rue Fürstenberg à Paris, devenue aujourd'hui le musée Delacroix. J'ai vu ce portrait de Georges Sand. Etonnante toile ! L'écrivaine est représentée, dans un camaïeu de bruns, les cheveux courts, habillée en homme. Elle vient de rompre sa liaison amoureuse avec le musicien Alfred de Musset et paraît meurtrie, triste.

En cette année 1834, la femme de lettre a déjà une notoriété mêlée d'un parfum de scandale. Delacroix est considéré comme le chef de file de la peinture romantique. Il a déjà peint plusieurs toiles importantes qui n'ont pas toujours été bien reçues par les critiques : « Dante et Virgile aux Enfers », « Les massacres de Scio », « La liberté guidant le peuple », « Femmes d'Alger dans leur appartement ». Une grande amitié va réunir les deux artistes jusqu'à la mort de Delacroix en 1863.

A partir de 1838, Frédéric Chopin, le nouvel amant de Georges et ami de Delacroix, va leur permettre d'augmenter leur familiarité, leur complicité intellectuelle. Leurs courriers vont devenir chaleureux, presque amoureux parfois dans une lettre de Sand à cette date : « Votre coeur est bien bon, bien grand, cher ami et vos yeux sont bien noirs, bien vifs, bien pénétrants. Vous le savez bien, je serais folle de vous si je ne l'étais d'un autre (titre de ce livre de correspondances) et peut-être que vous m'aimeriez plus que tout, si d'autres fantômes en jupons ne dansaient plus gracieusement et plus coquettement, la nuit, sous le berceau de vos allées. »

Delacroix commence à peindre un double portrait en largeur de Sand écoutant Chopin jouant du piano. Elle se tient assise derrière lui, les bras croisés sur la poitrine, pendant que le musicien, illuminé devant son piano, semble en pleine inspiration créatrice.
Le musicien tombe malade, un voyage à Majorque n'arrange rien. Finalement Delacroix suspend l'exécution de la toile qui reste inachevée. Elle sera coupée en deux et les portraits séparés. le portrait de Chopin, seul, se trouve actuellement au musée du Louvre.

Les deux artistes se vouent une admiration mutuelle. le peintre fera deux séjours en 1842 et 1843 à Nohant chez George. Il lui offrira un tableau « L'Éducation de la Vierge » qui, lui aussi, se trouve au musée Delacroix. A la suite de ces séjours leurs courriers ne vont plus cesser, toujours sur un ton mêlant phrases amicales teintées de propos amoureux. La qualité littéraire est constante :
ED à GS : « Ah ! Aurore, Aurore ! »
GS à ED : « Chopin m'interrompt pour me dire qu'il vous adore, ce que je vous fais passer tout chaud. (…) Bonsoir chéri, et bon ami, toute la couvée vous accable de tendresses, et moi je vous serre dans mes bras. »

Le 18 octobre 1849, Delacroix écrit dans son journal : « J'ai appris, après déjeuner, la mort du pauvre Chopin. Chose étrange, le matin, avant de me lever, j'étais frappé de cette idée. Voilà plusieurs fois que j'éprouve de ces sortes de pressentiments. Quelle perte ! Que d'ignobles gredins remplissent la place, pendant que cette belle âme vient de s'éteindre !

Après la mort de Chopin les relations entre eux vont se distendre. La révolution de 1848 ne contribuera pas à les rapprocher, Delacroix n'appréciant guère cette révolution dans laquelle George Sand est impliquée.
GS à ED : « Allez donc voir mon « Champi » (joué au théâtre), pendant qu'il est dans sa fraîcheur. »
ED à GS : « (…) Nos âmes qui ont tant de points de contact que je bénis, sont tout à fait séparées au sujet du péché originel auquel je crois sans la moindre plaisanterie ; je ne vois que ce moyen d'expliquer la nature humaine : c'est cette distinction entre nos jugements divers qui nous sépare encore plus de votre Rousseau qui dit que l'homme est né bon. Lui, je ne l'aime pas et vous je vous aime. »

Leur correspondance va devenir épisodique, leurs divergences politiques étant nombreuses.
En 1862, un an avant le décès de Delacroix, George Sand écrit un billet au peintre pour lui dire son admiration pour sa « chapelle de Saint-Sulpice » qu'il vient de terminer.
En mai 1862, Delacroix envoie à son amie un petit pastel du « Centaure ». Dans sa dernière lettre connue, Sand remercie Delacroix pour ce pastel : « (…) Je suis dans le ravissement, cher ami. Je l'ai là, sous les yeux, je le regarde à chaque minute ; c'est si puissant, cette chose qui tient si peu de place, et dont le mouvement, la couleur, le sentiment grandiose, vous enlèvent au grand galop de la pensée, dans un monde au-delà de nous. (…) C'est comme un souffle, ça ne s'analyse pas, et ça fait plus que vous étonner et vous charmer, ça vous porte. »

Avant de mourir, le peintre lui enverra un dernier mot : « Je regretterai les Rubens et vous encore davantage. Adieu chère amie. » Il décèdera le 14 août 1863.

Le parcours épistolaire de ces deux figures emblématiques du 19e siècle est souvent drôle, très amical, surprenant, affectueux, émouvant parfois. Au-delà de leur propre personne, l'amour de l'art les aura constamment réunis.



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