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Critique de Pecosa


George Sanders, l'une des plus belles voix du cinéma, l'acteur qui vampirise l'écran dès qu'il apparaît, le comédien cantonné aux rôles d'aristocrates cyniques, de vils séducteurs, d'officiers nazis, avait aussi un autre talent, l'écriture.
J'ai lu de nombreuses biographies d'acteurs, de réalisateurs et de producteurs et ces Mémoires (inachevés) d'une fripouille dénotent. Aucune suffisance, aucune fausse modestie, mais du recul, de l'humour, du style, et une grande érudition.
On y apprend que Sanders, acteur britannique est né à Saint-Petersbourg dans une famille de russes blancs de lointaine origine anglaise. Envoyé en pension dans un chic établissement de Grande-Bretagne, il échappe à la Révolution russe, et doit ensuite dire adieu à une vie d'oisiveté pour gagner sa vie en Argentine et au Chili. Devenu acteur par hasard (pour les beaux yeux d'une rousse), il tente sa chance à Hollywood où il devient le méchant que l'on aime détester.
Il est le cousin de Mrs de Winter dans Rebecca d'Alfred Hitchcock, brise le coeur de Gene Tierney dans L'Aventure de Mme Muir, est génial en Lord dans le Portrait de Dorian Gray , reçoit l'Oscar du second rôle pour sa prestation de critique redouté dans All about Eve de Mankiewicz .
Il est aussi roi dans Ambre avec Linda Darnell, Bel-Ami chez Levin, et plus étonnant, homosexuel qui tricote chez John Huston (La lettre du Kremlin).

Sanders semble pourtant considérer sa carrière comme un concours de circonstance. Détaché, cynique, d'une lucidité cruelle sur le monde en général et Hollywood en particulier, il livre ses souvenirs avec beaucoup de distance, et contrairement aux autres autobiographies, ne place pas ses films (et quels films) au coeur de son récit. C'est mon seul regret, mais il en aurait peut-être été autrement s'il avait terminé son livre.
Se présentant comme un imposteur, un impénitent jouisseur, un paresseux pétri d'orgueil de classe, l'homme ne peut pourtant dissimuler son élégance morale, sa grande culture, avec la pudeur des grands cyniques. Quand il évoque les autres acteurs, il n'est jamais médisant, mais toujours élégant. Les lignes qu'il consacre à son épouse, la volcanique hongroise Zsa Zsa Gabor (imagine-t-on couple plus improbable), sont d'une classe folle.
George Sanders se présente comme un Britannique qui ne tolère que les siens, comme un voyageur élégant qui s'ennuie dans les palaces, et pourtant, lorsqu'il évoque ses voyages et ses tournages (il écrit sur sa collaboration avec le couple Bergman/ Rossellini dans Voyage en Italie, et fait preuve d'une grande lucidité quant au comportement du metteur en scène vis-à-vis de sa femme), Sanders voit ce qu'il se passe à l'extérieur des studios. A Saragosse pour tourner Salomon et la reine de Saba, il écrit ceci : «  L'endroit où nous allions tourner les extérieurs du film était le camp militaire espagnol de Valdespartera, une vaste plaine ouverte à environ quinze minutes en voiture. Il parait que pendant la guerre civile douze mille personnes au total furent tuées là, probablement traînées hors de ville et abattues à la mitrailleuse, après qu'on leur eût confisqué leur argent et leurs possessions. Les gens de Saragosse se les rappellent encore avec amertume; en conséquence, nous nous trouvions dans une position quelque peu délicate, si l'on pense que notre intention était de piétiner ce qu'ils considéraient comme une terre quasi sanctifiée. »
Ce provocateur terminera sa vie comme il l'a vécue, avec élégance, malgré les banqueroutes, la perte de sa femme, et l'ennui qui l'a gagné. Lorsqu'il met fin à ses jours dans un hôtel de Castelldefels, il laisse une lettre adressée au gérant, avec 1500 dollars pour régler sa note.
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