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Critique de Basilio


La Voie des rois est ma grande déception de ce début de l'année. Dans ce roman de fantasy médiévale, l'action – ou plutôt l'inaction – se situe dans un univers un peu différent du nôtre, un monde minéral, battu par d'énormes ouragans, où certaines énergies sont visibles à l'oeil nu. le récit, éclaté, sans grande cohérence, suit quatre personnages qui ne se rencontrent pas dans ce volume (mais deux se croiseront dans le suivant) : Kaladin, un très jeune guerrier devenu esclave ; Shallan, une adolescente missionnée pour sauver sa famille ; Dalinar, un général d'âge mûr en proie à des visions ; et Szeth, dont les pouvoirs magiques sont utilisés pour commettre des assassinats.

Dans sa version d'origine, le livre est long de plus de mille pages. Il a été découpé en deux parties (de 700 pages en livre de poche) à l'occasion de sa traduction en français. Ce choix est une aberration. Les péripéties se concentraient à la fin - qui devient chez nous le volume 2 - et en conséquent il ne se passe presque rien dans le premier.

J'avancerais l'idée que les sources d'inspiration de la Voie des rois sont plutôt à chercher dans la culture geek (jeu vidéo, manga) et cette modernité expliquerait en partie son succès. L'autre raison est assurément un marketing réussi, selon lequel - entre autres - le « worldbuilding » - la création de l'univers - de l'oeuvre aurait nécessité des années de travail. Je suppose que l'éditeur en rit encore. Et, pour moi, qu'on me permette d'en douter : l'impression qui ressort à la lecture est, bien au contraire, celle d'une pauvreté imaginative masquée par un peu de poudre aux yeux ; une dizaine de détails répétés de façon lassante : quelques points de toilette (manche gauche plus longue des vêtements féminins, chevelures immanquablement « tressées selon des motifs complexes », barbiches en pointe ou carrées) ; une faune et une flore à peu près limitées aux herbes rétractiles, aux « chulls », aux démons des gouffres et aux sempiternels « crémillons ».

Pour le contexte, la Voie des Rois semble se dérouler dans un jeu vidéo. Plusieurs chefs de guerre (dont un soutient d'ailleurs que la guerre est un jeu) tentent d'accéder les premiers à des plateaux où des monstres « spawnent » aléatoirement ; ces créatures, une fois tuées, contiennent des gemmes à « looter ». Des énergies visibles tourbillonnent autour des personnages. Les couleurs de peau de certains, orange, verte, semblent tirées aléatoirement comme des « skins ». Les sourcils d'autres, démesurément longs, rappellent les illustrations d'Arena Of Valor. Les pouvoirs des épées et des armures bleu fluo se déclenchent après un compte à rebours.

Les failles et les incohérences d'un tel univers, qui paraitraient inaperçues dans un jeu vidéo, ressortent dès qu'il est mis en écriture. On se demande comment, dans ces contrées très fréquemment balayées d'ouragans destructeurs, existent des ports et une marine marchande. de quoi se nourrissent les chevaux puisque le paysage est presque exclusivement minéral ? Grâce à quelle curieuse loi physique volent les « anguilles volantes » ? On reste stupéfait de l'invraisemblance du système de télécommunication, un improbable standard téléphonique médiéval où des gemmes magiques clignotent comme nos diodes, etc.

Pour la psychologie, c'est sans doute dans les mangas qu'il faut chercher l'inspiration du comportement des personnages, fondé sur une motivation prépondérante qui frise l'idée fixe. C'est en effet un cliché des shonen. Mais encore une fois, ce qui est adapté à une forme d'art ne l'est pas toujours à une autre. Formulées en mots dans la Voie des Rois, ces obsessions laissent l'impression malsaine d'un délire monomaniaque. Elles rendent les protagonistes plus ou moins antipathiques. Seul un personnage est réellement original et attachant, Syl, l'élémentaire qui suit Kaladin. Les autres, Shallan, Jasnah, Szeth, Dalinar ont l'air d'un défilé de cas psychiatriques. La mentalité de Kaladin évoque celle d'un adulte névrosé, pas celle d'un jeune homme de dix-neuf ans sain d'esprit. Les comportements étonnent, les décisions surprennent. Mais un exemple sera plus clair : un professeur tue froidement cinq personnes sous les yeux de sa jeune élève de dix-sept ans… afin de lui donner un cours de « philosophie pratique » ! Après réflexion, l'élève reproche à son maître cet acte immoral. On le félicite d'avoir compris la leçon. Cette scène est d'autant plus aberrante et stupide que le professeur n'est pas supposé être un dangereux psychopathe. On nous l'a présenté, au contraire, comme une personne remarquable, sage et cultivée !

Et pire, ce qui est encore plus consternant dans cette scène, c'est que son seul but était de sortir Sanderson d'une des nombreuses impasses narratives dans lesquelles il s'était enferré.
Car tout est si mal raconté dans la Voie des Rois… Les cent premières pages peuvent faire illusion. En effet les héros sont dès le début du roman confrontés à un dilemme ou placés dans une position intenable. Mais très vite cette tension s'étiole. Les mêmes situations se répètent d'une scène à l'autre, les protagonistes reproduisent les mêmes erreurs jusqu'à l'absurde, rien n'améliore leur situation. Shallan, elle, est carrément oubliée pendant 500 pages ! Rapidement, on perd foi dans la capacité de l'auteur à narrer une histoire intéressante.

Dire qu'il y a des longueurs est un aimable euphémisme. Sanderson « tire à la ligne » sans planifier ce qui ferait avancer son récit ; commence visiblement ses chapitres sans savoir ce qu'il y racontera ; gagne du temps, attend l'inspiration au long de digressions, de dialogues creux ; et le plus souvent n'ayant tout bonnement pas trouvé d'idée, les termine sans que rien n'ait progressé. Ou bien il résout son problème de narration par une ellipse ou encore un retournement dont l'absurdité égale celle de Rocambole.

Et c'est pourquoi plus de la moitié des chapitres sont tout à fait inutiles à l'histoire. On se souviendra, par exemple, des trois scènes identiques dans lesquelles Dalinar et son fils se fixent un rendez-vous pour délibérer d'un point absolument crucial pour tous deux. A l'effarement du lecteur, toutes les trois s'achèvent sans que le sujet capital ait été abordé, après l'échange de quelques platitudes, parce que l'un des protagonistes quitte soudain la pièce comme s'il avait une envie pressante ou un rôti sur le feu. Autres exemples, la plupart des « intermèdes », des historiettes sans intérêt où l'on présente dans le détail des personnages superflus, qu'on ne reverra d'ailleurs pas, ou encore ces interminables chapitres de flashback sans intérêt pour le récit.
En conséquence, à la fin du volume 1 aucune intrigue n'est encore lancée. Kaladin ne s'est toujours pas rendu compte d'un don pourtant évident aux yeux de tous ses camarades ; Shallan se résout à une action qui s'avèrera vaine ; et enfin, après plus de 300 pages de verbeuses délibérations intérieures, l'indécis Dalinar vient juste de prendre une résolution… sur laquelle il reviendra dans le second volume !

Une autre source d'ennui est que tout le récit repose sur des tensions factices. Sanderson introduit des préparations qui ne servent à rien. Notamment, durant ce volume et le suivant, Kaladin et ses hommes descendront à plusieurs reprises dans le Gouffre, un endroit décrit comme tout juste mortel. Heureusement pour eux – et malheureusement pour le lecteur -, rien ne perturbera ces promenades de santé. Dans le même but sont proposées de prétendues énigmes (qui a tranché la courroie de la selle du roi ? qui est le commanditaire de Szeth ?) dont les réponses, quand on les découvrira dans le second volume, se révèleront ridicules tant elles sont abracadabrantes. Assez vite, on comprend que tous ces ressorts sont à vide, pour la forme, que l'auteur ne prendra jamais la peine de chercher une solution intéressante aux complications rajoutées à son histoire.

Autre procédé vraiment désagréable : l'emploi d'un point de vue interne falsifié. le lecteur, qui a constamment accès aux réflexions des personnages, se rend compte à la longue qu'on le gruge : des faits capitaux de leur passé, que leurs pensées auraient dû lui révéler, ont été occultés de façon tout à fait artificielle. Comment Kaladin s'est-il retrouvé esclave ? Chaque fois que Kaladin y pense, Sanderson s'applique pesamment à éviter de nous le dire, à tourner autour du pot, et cela tout au long du volume 1. J'avais fini par croire que Sanderson lui-même ne le savait pas et tentait de nous le cacher ! Pour le personnage de Shallan, c'est encore pire : la description de son caractère à travers ses pensées est entièrement trompeuse.
Sur ce point, il est impossible de soutenir que cette pratique mensongère est une astuce de narration comme une autre : c'est seulement une grave erreur esthétique. Si l'auteur ne joue pas franc-jeu, le lecteur se met à douter de ce qu'on lui présente comme la vérité. le charme est rompu. L'histoire perd tout intérêt.

Voilà pour l'intrigue et la narration. L'écriture, elle, est très médiocre. Sanderson utilise peu de comparaisons et c'est une chance car elles sont déplorables : « Les attentes étaient comme de la poterie fine. Plus on s'y accrochait, plus elles risquaient de se fendiller ». Avec une étonnante constance, toutes les autres sont du même acabit…
Les scènes d'action sont pour la plupart mal racontées. Il y a quelques rares combats. Ceux impliquant Szeth sont surtout ennuyeux ; on comprend mal ce qui se passe. L'action est interrompue par des explications oiseuses ou des détails incongrus, la couleur de chemise ou la forme de la barbe d'un figurant sans importance car il mourra dix lignes plus loin.
Pour les descriptions, il suffit de relire les trois pages où Shallan débarque dans le port de Kharbranth pour se persuader de leur nullité : on s'attendrait naturellement à une vue générale du lieu ; à la place, voilà la description de la manche gauche de Shallan ; de sa robe et ses boutons ; des explications sur l'art de la lecture ; passe un groupe d'esclaves sur le quai, il sert à des considérations ethnographiques ; suit un gros plan sur des petits crabes, puis un dialogue à l'humour niais avec un pousse-pousse et un matelot. Après trois pages, on ne sait toujours pas à quoi ressemble cet endroit que Shallan découvre avec nous, encore moins comment elle le perçoit…

En conclusion, on aura compris que je n'ai pas du tout apprécié La Voie des Rois. Soyons clairs, je l'ai carrément trouvé puéril, attardé, abruti. Aussi, à ceux qui auraient acheté le premier volume, je ne conseille pas le second. Oui, il y aura plus d'action, oui il y aura des rebondissements. Mais tout cela est tellement inconsistant que c'en devient – comme disait l'autre - un conte plein de bruit et de fureur, raconté par un idiot.
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