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Critique de umezzu


umezzu
28 décembre 2022
Durant ses recherches pour Retour à Lemberg, son précédent livre, Philippe Sands avait rencontré Niklas Frank, le fils de Hans Frank, l'ancien gouverneur général de la Pologne occupée durant l'annexion nazie. Niklas Frank a indiqué à l'auteur l'existence d'un autre fils de dirigeant nazi, qui serait prêt à parler de ses parents : Horst Wächter, fils de Otto Wächter, ancien gouverneur de Cracovie, puis de la Galicie. Si Niklas Frank condamnait totalement les actes de son géniteur, l'attitude de Horst Wächter était plus ambiguë : il ne niait pas les crimes de guerre, mais estimait que son père était un homme bon, un administrateur respecté des territoires qu'il avait en charge. D'un côté l'administration civile, de l'autre les SS, en quelque sorte.
Sands et Horst Wächter se sont rencontrés à de multiples reprises et Horst a accepté de le laisser consulter les archives familiales, rien d'important n'y étant caché selon lui.
Ce livre est le fruit de ces longues recherches et propose trois thèmes distincts.

Le premier est bien évidemment une biographie de cet Otto Wächter. Ce fils de militaire autrichien a dès ses études universitaires en droit durant les années 20 basculé dans le camp nationaliste et antisémite. Avec quelques amis du Deutsche Klub viennois, dont Arthur Seyss-Inquart ou Ernst Kaltenbrunner, ils adhèrent au NSDAP, puis complotent contre le chancelier autrichien Dollfuss. le 25 juillet 1934, leur tentative de putsch, dont Wächter était l'un des trois chefs principaux, échoue, même si Dollfuss est assassiné. En fuite, Otto Wächter quitte femme et enfants, passe en Allemagne et bien évidemment trouve du travail au sein des services d'Himmler. Cette proximité avec le pouvoir nazi va l'amener à être un des dirigeants de la nouvelle région du Reich qu'est l'Autriche après l'Anschluss. Il licencie ses anciens professeurs de droit (juifs), interdit d'exercer plus des deux tiers des avocats du pays…
La seconde guerre mondiale va être l'opportunité de monter dans la hiérarchie nazie : d'abord comme adjoint de Frank, puis comme gouverneur de Cracovie, avant de devenir gouverneur de Lemberg (Lviv aujourd'hui) en Galicie. Dans ces postes il va montrer son efficacité : représailles contre la population civile lors d'attentats, création du ghetto de Cracovie, élimination des juifs de Galicie…
Avec l'avancée des troupes soviétiques sur le front de l'Est, il va d'abord être responsable de la liaison entre l'armée allemande et le gouvernement de Mussolini à Salo, avant de diriger l'action de troupes étrangères ralliées aux nazis, dont une division SS d'ukrainiens de Galicie.
Avec la fin de la guerre, il n'est plus qu'un criminel de guerre, qui se cache dans les montagnes autrichiennes, ravitaillé à l'occasion par sa femme. Après des années de cache-cache avec les forces d'occupation en Autriche, il va partir pour Rome pour tenter comme beaucoup d'autres de rallier l'Amérique du Sud. Il mourra à Rome en 1949 avant d'avoir pu quitter le pays.

Toute cette partie historique, en grande partie reconstituée grâce aux nombreuses lettres échangées entre Otto Wächter et sa femme Charlotte, est détaillée et montre bien comment l'ambition d'un homme, alliée à un racisme profondément ancré, l'a conduit a être un des rouages importants du nazisme.
Le deuxième thème abordé est donc celui des réactions de Horst Wächter face aux révélations successives sur l'action de son père. Horst, qui n'était qu'un gamin au moment la guerre et n'a quasiment pas connu son père, s'est forgé une image de celui-ci au travers de ce que sa mère Charlotte lui a raconté. Une version idéalisée où Otto Wächter n'était qu'un administrateur, apprécié de ses administrés (ukrainiens notamment). Charlotte a elle-même profité de l'ascension de son mari : des propriétés de luxe leur ont été attribuées après confiscation à leurs propriétaires, elle était entourée de nounous, majordomes et chauffeurs, et a puisé le décor de leur résidence à Cracovie dans le musée local…
Charlotte, amoureuse de son mari jusqu'aux derniers instants a tout fait pour lui, même si lui l'a abondamment trompée. Elle était autant que lui convaincue du projet nazi. Et l'est certainement restée jusqu'à son décès des décennies plus tard.
Sands reconnaît que Horst Wächter a fait montre de transparence, mais on sent que plus la vérité historique se fait jour, plus Horst l'habille et créée d'autres motifs aux actes de son père. Il lui est difficile de mettre en cause sa famille.

Le troisième thème abordé est celui qui donne son nom au titre : les réseaux d'évasions des nazis après guerre. Rome en 1949 est un vrai nid d'espions. L'opposition Est-Ouest commence. La CIA paye des indicateurs dans tous les milieux. le rôle d'une partie de l'église catholique est ambigu, surtout s'agissant de l'évêque Hudal, un autrichien proche des nazis, qui a contribué au passage en Argentine de nombreux criminels de guerre, avant de devoir abandonner son poste quand ses liens avec… Otto Wächter sont apparus lors du décès de celui-ci.
Cette partie du livre est labyrinthique, complexe, et parfois déroutante. Il en ressort que les Américains ont très vite su que Wächter, qui figurait parmi les criminels de guerre réclamés par la Pologne nouvellement communiste, était présent à Rome, mais n'ont rien fait pour empêcher son projet d'exil sud-américain.
Sands durant son enquête va aussi découvrir des secrets de famille, qu'il va s'empresser de révéler (de son propre chef) à des personnes qui des décennies après les faits en ignoraient tout.

La filière est un récit historique parfaitement documenté (au plus prés des intervenants), impressionnant en ce qu'il montre de la vanité humaine et de l'absence d'humanité de certains. Mais l'ouvrage perd un peu de sa force dans une trop longue partie finale qui ressasse un peu toujours les mêmes arguments.
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