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Critique de jazzman



Une lecture très insolite sur un sujet qui l'est tout autant ! Qui connaît encore le Birobidjan, ce territoire autonome juif créé en 1934 par les autorités soviétiques ? A la fin des années 80, Patrick Braun et Jean Sanitas, se sont rendus avec une équipe de journalistes dans cette région jusqu'alors considérée comme région stratégique par les Soviétiques. Il s'agit d'une première mondiale car, peu visité, ce territoire n'avait jusqu'alors fait l'objet d'aucune enquête sérieuse en dehors des frontières de l'URSS. Cette publication est certes un peu ancienne mais elle revient en détails sur les évènements qui ont précédé la création du Birobidjan et sur son existence chaotique.
Le projet de territoire juif commence à se préciser à la fin des années 20. À l'issue de la Révolution russe, les Juifs sont reconnus comme nationalité par le pouvoir central mais aucune région particulière de résidence ne leur est proposée et ils sont souvent majoritaires notamment dans les anciens territoires de Pologne, d'Ukraine et de Biélorussie. Même si Lénine pense que le socialisme mettra un jour fin à tous les nationalismes, il n'est pas hostile à la création de républiques autonomes, sortes d'unités administratives, à travers le pays. Les raisons du choix du Birobidjan, territoire d'une surface de 36266 km² et situé dans l'Extrême- Orient soviétique au nord de la Mandchourie, sont multiples : depuis la fin du XIXème siècle, les gouvernements successifs projettent d'inciter à se tourner vers l'agriculture les populations juives jusqu'alors traditionnellement cantonnées aux métiers de petits commerçants, prêteurs, rabbins etc... activités désormais jugées trop capitalistes par le nouveau régime. D'autre part, le pouvoir central souhaite vivement peupler cette région possédée historiquement par la Chine et dont les terres sont fertiles et riches en ressources naturelles. Par ailleurs, il y a aussi la volonté d'éloigner de Moscou, plus précisément à 6000 km, des intellectuels juifs à haut potentiel contestataire. Quant au soit-disant souci de soustraire les Juifs à l'antisémitisme, il ne fut bien-entendu qu'un prétexte !
Ceci-dit, beaucoup de Juifs sont en effet victimes de l'antisémitisme et voient dans le Birobidjan une planche de salut et de meilleures conditions d'épanouissement personnel. À cela s'ajoutent des primes d'installation plus qu'avantageuses. Les premières années, la région voit affluer nombre de juifs enthousiastes : il y a du travail à profusion, le Yiddish y est décrété langue officielle au même titre que le russe et enseigné dans les écoles, des journaux ainsi qu'un théâtre en langue yiddish voient le jour et des synagogues sont ouvertes. Même si les Juifs ne sont pas majoritaires, ils sont bien intégrés parmi les autres nationalités présentes : « Ici, à Birodibjan, il n'y a pas d'humiliation pour les Juifs ». Malheureusement, il y a un obstacle de taille à leur installation massive et durable : Staline ! Celui-ci diffuse largement la thèse du complot juif : les juifs sont perçus comme de dangereux capitalistes, comme des ennemis du Peuple et de la Révolution et sont soupçonnés de cosmopolitisme. Les purges staliniennes ainsi que la création de l'État d'Israël en 1948 mettent un terme quasi définitif à l'installation juive au Birobijan et accélèrent même leur départ. N'ayant pas atteint le chiffre de 100000 résidents juifs, le Birobidjan n'obtiendra jamais le statut de République et ne sera jamais non plus en mesure d'offrir une véritable vie juive à ses résidents : pas de nourriture casher, plus de rabbins, de moins en moins d'écoles juives…
Même si la tentative de créer un espace juif autonome a échoué, la démarche fut d'une grande originalité : mélange réussi d'intégration, de bonne entente intercommunautaire, absence d'antisémitisme. La question que l'on peut légitimement se poser est la suivante : sans la création de l'État d'Israël en 1948 et sans l'antisémitisme de l'époque stalinienne, le Birobijan aurait-il pu rallier les Juifs du monde entier ? On ne le saura jamais…
D'après les statistiques les plus récentes, le nombre de Juifs vivant au Birobidjan s'élèverait à peine à 2 % de la population globale. C'est sans doute la raison pour laquelle nous ne disposons pas d'étude d'envergure récente depuis le livre de Patrick Braun et Jean Sanitas. Dommage !
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