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Critique de gabb


Surtout, surtout, ne me demandez pas de quoi ça parle !
D'abord je ne suis pas sûr de pouvoir vous répondre, et puis de toute façon, comme le rappelle très justement l'étonnant Mohamed Mbougar Sarr dès le début de son livre, "cette question incarne le Mal en littérature".
Il ajoute même un peu plus loin - et je vais m'empresser de suivre ce bon conseil - : "n'essaie jamais de dire de quoi parle un grand livre. Ou, si tu le fais, voici la seule réponse possible : rien. Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant, tout y est. Ne retombe plus jamais dans le piège de vouloir dire de quoi parle un livre dont tu sens qu'il est grand."

Ainsi donc La plus secrète mémoire des hommes ne parle de rien.
Mais alors un rien superbe, un néant remarquable, un vide incroyablement plein. L'histoire, en très bref, d'un génial écrivain-fantôme nommé T.C. Elimane, natif du Sénégal et auteur d'un chef d'oeuvre unique, inclassable et controversé : le Labyrinthe de l'inhumain. Depuis sa parution en 1938, ce livre maudit enflamme les esprits de tous les amoureux de Littérature. La vraie, la grande, celle qui nourrit en profondeur et produit les oeuvres essentielles dont on ressort grandis, les textes qui appauvrissent en ce sens qu'ils "ôtent de nous le superflu" ("de leur lecture, on sort toujours dénué : enrichi, mais enrichi par soustraction").

Qui fut donc cet insaisissable Elimane, ce « Rimbaud nègre » de plus en plus mystérieux à mesure que s'enchainent les témoignages de ceux qui l'ont rencontré ? Où et pourquoi a-t-il disparu ? Faut-il le qualifier de génie absolu ou de misérable faussaire ? Est-il vrai qu'"être un grand écrivain n'est peut-être rien de plus que l'art de savoir dissimuler ses plagiats et références" ? À quoi reconnaît-on une véritable prouesse artistique, et quelle peut être l'ampleur de son impact sur nos vies ? Parle-t-on encore aujourd'hui d'écriture, ou seulement d'identité ? "Du style ou des écrans médiatiques qui dispensent d'en avoir un ? de la création littéraire ou du sensationnalisme de la personnalité ?"
Autant de questions qui, sous la plume terriblement affûtée de Mohamed Mbougar Sarr, s'entremêlent en une ébouriffante mise en abyme.

Avec sa composition déstructurée, ses trois livres segmentés en sept sous-parties et quatre biographèmes (attention, première alerte "mot compliqué" !), avec sa chronologie morcelée et ses narrateurs multiples s'exprimant tous à la première personne du singulier, voilà sans conteste un roman qui sort de l'ordinaire !
Ajoutez à cela une écriture très travaillée (où certains, paraît-il, ont vu un exercice de style vain et sans chair trahissant une forme de pédantisme...) et assaisonnez le tout d'un festival de vocables oubliés (*) que même mon correcteur orthographique a bien du mal à identifier et vous obtenez - en plus d'une probable tendinite en cas d'utilisation compulsive d'un trop volumineux dictionnaire - un texte étourdissant, un dédale de virtuosité et d'érudition, une recherche de Littérature qui confine à la quête mystique, bref un Goncourt en puissance.
Un Goncourt qui m'a plu (je sais, c'est mal), un livre labyrinthique et un peu bavard, certes, mais dans lequel je me suis perdu avec délice.


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(*) Quelqu'un ici a-t-il déjà connu une "térébrante tristesse", ou craint-il les "transports suprêmes de l'épectase" ? Qui a pour habitude de "gamahucher gourmandement" ? Qui saurait définir "l'entéléchie de la vie", ou la "cantilène des corps" ? Qui a déjà entendu parler de prolégomène, de mystagogie ou de schibboleth ?
Si l'en est un(e) parmi vous, qu'il ou elle n'hésite pas à me contacter en privé !
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