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Critique de Ana_Kronik


On le sait, les footballeurs sont très bien payés, du moins ceux qui font partie de l'élite. Certains s'en offusquent, d'autres trouvent cela normal: ne sont-ils pas de véritables stars? Leur talent exceptionnel ne mérite-t'il pas d'être récompensé? le but de ce livre, fort documenté, est de nous montrer que cette analyse est un peu courte.

En effet, cette situation n'avait rien d'inéluctable. Comme l'écrit Manuel Schotté, "c'est l'action conjuguée mais non concertée d'une myriade d'acteurs très divers et n'entretenant pas nécessairement de liens directs qui transforme des individus habiles balle au pied en de richissimes figures publiques".

Et si cette situation nous paraît naturelle, elle présente toutefois un caractère exceptionnel: dans les autres catégories, Pdgs, banquiers, financiers de haut vol, ou architectes-vedette, les salaires mirobolants vont à ceux qui occupent les sommets de la hiérarchie. Dans le cas du foot, il n'en est rien: les joueurs sont au bas de l'échelle, simples salariés. Ils sont pourtant nettement mieux payés que leur patron, le président du club, ou ses actionnaires.

Alors, qui sont ces acteurs divers dont les intérêts ont convergé, faisant du football le sport le plus populaire, détrônant la boxe et le cyclisme en peu d'années (grosso modo, des années 20 à 40)? le livre passe en revue le rôle respectif des clubs, des fédérations, de l'État, des agents, et bien sûr des médias.

Les clubs, souvent fondés par des entrepreneurs, issus de familles modestes, étaient considérés comme un moyen de promotion rapide. Un patron de club estime qu'il a rempli son carnet d'adresses en trois ans au lieu de vingt. Un autre avoue que sa fonction lui ramène des contrats pour son entreprise. Et n'oublions pas le contrôle social: on sait que le club de Sochaux, fondé par Peugeot, avait pour but d'offrir une activité aux ouvriers. Les patronages chrétiens, eux aussi, ont utilisé le ballon rond pour occuper les enfants de leurs ouailles. Quant au patron du Matra Racing, ne déclarait-il pas dans les années 80 que son but était de faire parler de l'entreprise de Lagardère, propriétaire du club, du mieux possible ?

Les fédérations, quant à elles, ont unifié les règles du sport, et progressivement, organisé un calendrier précis des compétitions, qui tient les supporters en haleine toute l'année. Ces mêmes supporters s'identifient à une équipe, souvent la même que leurs parents ou leurs amis proches; ce qui est bien moins le cas pour d'autres sports comme le cyclisme.

Quant aux États et aux administrations, ils se sont souvent opposés aux clubs et aux fédérations. Parfois, ils les ont aussi favorisés, dans des buts que l'on peut juger discutables. A l'heure où j'écris ces lignes, d'ailleurs, la dernière polémique en date concerne les exemptions fiscales proposées par la France pour attirer la FIFA sur notre territoire.

Moins connu peut-être fut le rôle de l'UNFP, premier et unique syndicat français des joueurs, qui mena le combat pour supprimer le contrat "à vie". Celui-ci, de règle jusqu'à la fin des années soixante, faisait du club le propriétaire du joueur... jusqu'à ses trente-cinq ans!

Le rôle des médias, enfin: dans une logique de mimétisme, aucun journal ne peut se passer de parler du foot, même si c'est pour le critiquer. Les transferts sont discutés et commentés avant même d'avoir lieu, comme un roman à suspense. Les chaînes de télé se disputent pour retransmettre les matchs importants. Si la billetterie représentait 80% des recettes des clubs de 1ère division en 1970, ce pourcentage est tombé à 13% dans les années 2010, tandis que les droits de diffusion passaient de zéro à près de 60%!

Il s'agit donc d'un sport-spectacle (d'ailleurs, souligne l'auteur, les premiers agents de footballeurs venaient du monde du spectacle). le football a quelque chose de théâtral, la performance, l'individu y est valorisé. le jeu collectif, jeu de passe, qui a prévalu sur le dribble au début du XX siècle, est tombé en désuétude. La télé met l'accent sur les joueurs : gros plans sur leur visage, ralentis à profusion...

Dans cette logique, les clubs doivent s'arracher les vedettes. Très peu d'entre eux choisissent de former et conserver leur équipe; ceux qui le font malgré tout sont soumis à la pression de ceux qui cherchent à acquérir des joueurs, ce qui fait inéluctablement monter les prix de transfert... et les salaires.

Au passage, on trouvera quelques réflexions sociologiques intéressantes sur les supporters. On les caricature souvent comme "bas du front", mais les supporters se retrouvent dans toutes les classes sociales, et ne sont ni plus ni moins diplômés que le reste de la population. En revanche, l'image du foot est volontairement populaire, comme une opposition à l'élite intellectuelle qui souvent le méprise... et en jalouse la popularité!
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