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Critique de Presence


Sous le charme
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Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il est paru d'un seul tenant sans prépublication, la première édition datant de 2021. La série a été créée par Stjepan Šejić qui a également réalisé ce tome sous toutes ses composantes : scénario, dessin, couleur, lettrage.

Prologue : le papillon qui a déclenché l'ouragan. Lauren Thomas gît par terre, une couronne avec des cornes sur la tête, un filet de sang coulant au niveau des lèvres, et un grand trou dans la poitrine, de grandes ailes dans le dos. Elle est soutenue par deux créatures ailées : Leliah Ashen un succube, et Thadeus Brimstone un cupidon. Elle se dit qu'elle voit des papillons. Elle se souvient de quelque chose que lui avait dit Heureca : dis-le-moi si jamais tu vois des papillons. C'était ridicule au moment où elle l'avait dit. Elle avait ajouté : si tu vois des papillons, ça veut dire que ton coeur brisé est en train de saigner et que tu vas probablement mourir. Elle pense à ce qu'on appelle l'effet papillon. Elle voit arriver une femme habillée de rouge d'une grande puissance et prendre Leliah et Thadeus à la gorge en les tenant en l'air chacun par une main serrée sur leur cou. Elle repense au papillon par lequel tout a commencé. Un simple battement innocent. Merryl Alaris tient la libraire Burton Knightley, et elle accueille les clients, les conseillant. Ce jour-là, Rachel Simms entre dans la librairie et demande où se trouvent les livres d'art Fantasy. Elle fait une drôle de tête en regardant la libraire. Celle-ci lui indique le rayonnage correspondant, sans plus y prêter d'attention.

Rachel consulte les ouvrages sur les rayonnages, et jette régulièrement un coup d'oeil aux clients qui entrent pour voir comment ils réagissent en regardant Merryl Alaris. Alors qu'il y a moins de monde, elle revient au comptoir et demande à Merryl s'il y a une forme d'animation dans la boutique. La réponse étant négative, elle lui demande pourquoi elle porte des cornes et une queue, comme pour un cosplay. Merryl fait sortir tout le monde de la boutique sauf Rachel : c'est une urgence ! Sa queue faisant d'amples mouvements, elle passe à portée de main de Rachel qui la touche et qui comprend qu'elle est vraie, que ce n'est pas un accessoire. Elle lui demande si elle est une démone. Merryl pique un fard car ça l'agace d'être ainsi qualifiée. Puis elle explique qu'elle est un succube, normalement masquée par un sort de Glamour, et que cela fait de son interlocutrice quelqu'un de spécial, quelqu'un de digne d'un contrat particulier. Rachel demande : un contrat qui implique d'échanger son âme ? Afin de se montrer plus convaincante, Merryl va chercher un livre bien précis, l'ouvre et fait voleter quelques pages, avec une manifestation d'énergie magique violette, ce qui impressionne fortement Rachel, maintenant totalement convaincue de la réalité de ce qu'il lui arrive. le succube formule son offre avec l'accord de son interlocutrice. Trois jours plus tard, Rachel est chez elle, avec une pomme dorée dans la main, se demandant si elle va mordre dedans ou non.

Magnifique couverture avec un dessin très léché, une femme en train de prendre du plaisir en ce qui semble être un démon mâle et un démon femelle, du pur Stjepan Šejić. Les deux parties de la séquence d'ouverture sont visuellement très impressionnantes. L'artiste réalise ses planches à l'infographie avec une technique éprouvée et maîtrisée, bien rôdée, en particulier sur sa série Sunstone, ou sur des récits indépendants comme Death Vigil ou Ravine. Il détoure les personnages avec un trait un peu irrégulier ce qui leur confère plus de spontanéité, avec une préférence marquée pour les jeunes femmes sveltes et les jeunes hommes discrètement musclés. Sans attirer particulièrement l'attention dessus, il soigne les tenues vestimentaires, variées et en cohérence avec la classe sociale et l'occupation de celle ou celui qui la porte. Impossible de résister à l'art de la séduction de Lauren Thomas. Il représente les décors avec une élégance et un naturel confondants, allant aussi bien de la photographie retouchée, que de la création par un logiciel de modélisation 3D, ou à un rappel des axes structurants d'un lieu par un camaïeu développé sur les mêmes axes, donnant l'impression d'une photographie floutée alors que les personnages se concentrent sur ce qui est immédiatement devant eux. Les rayonnages de la librairie sont chargés d'ouvrage de taille différente. le parquet du salon de Rachel bénéficie d'une belle marquèterie. La tour Eiffel ressemble à la réalité, ainsi que le balcon de l'immeuble parisien où se trouve Lauren. La soirée au club Crimson emmène vraiment le lecteur dans un club SM. Par contraste, les effets spéciaux déployés lors dans la zone abandonnée dans le monde d'en-dessous sont magnifiques et enchanteurs.

Comme à son habitude, Stjepan Šejić prend le temps de construire son récit dans la longueur. Il commence donc par une séquence de 3 pages qui se déroule en fait après la fin de ce premier tome, pour capter l'attention du lecteur sur le genre Fantasy, avec la référence à l'effet papillon, expliqué complètement et pas dans sa version tronquée et erronée. Puis vient la découverte de la succube par Rachel, la proposition de contrat, et des dessins qui évoquent effectivement une ode au cosplay, que ce soit les accessoires comme les oreilles (euh non, pardon, les cornes) ou les vêtements sophistiqués. Ce prologue se termine dans la nouvelle Olympe pendant 3 pages, avec une assemblée de succubes et de cupidons pour savoir qui deviendra un haut appelé. le lecteur découvre alors la page de titre pour le chapitre 1 : celui qu'on n'a pas eu. le récit part alors dans le registre de la comédie romantique : Lauren Thomas, une toute jeune adulte au sourire marqué par ses bagues dentaires, Matthew Collins, un autre étudiant photographe irrésistible qui parvient à lui faire prendre confiance en elle, et une carrière de mannequinat à l'international promouvant l'image d'une séductrice excitante, ce à quoi ne survit pas sa relation avec Matthew. L'artiste est extraordinaire, montrant une jeune femme assurée, magnifique sans une once de vulgarité, avec des expressions de visage très parlantes, un caractère bien affirmé, tout en étant consciente de ses défauts. C'est du grand Stjepan Šejić, avec une tenue comprenant des cuissardes montant jusqu'à mi-cuisse, et des talons très hauts.

Quarante pages plus tard, le lecteur passe au chapitre 2 : la couronne cachée, pour 36 pages se déroulant dans le monde d'Hadès, puis en nouvelle Olympe, entre succubes et cupidons. le choc n'est pas rude car le coup de crayon numérique est toujours aussi assuré et naturel, les décors ont disparu au profit d'arrière-plans expressionnistes rehaussés d'effets spéciaux. le lecteur en prend plein les yeux avec délice : la flèche du cupidon Heureca plantée en plein coeur de Leliah, l'apparition d'une demi-douzaine de papillons surnaturels, l'arrivée fracassante de Bauphette Alaris avec les chaînettes allant de ses cache-tétons à l'extrémité de ses cornes, l'arrivée de Hadès dans son énergie verte, la révélation de l'ancienne identité de Bauphette en Alecto, la création d'une géode violette par la libération d'énergie de Heurica, le couple formé par Vain et Thadeus Brimstone, sans oublier l'annonce du haut appelé. L'auteur tient les promesses de la couverture : les cupidons et les succubes se livrent à des relations sexuelles inter-espèces, avec des dessins qui restent dans le registre de l'érotisme doux, un peu de nudité, aucun gros plan, une recherche consentie du plaisir. L'auteur entremêle les preuves d'affection entre Leliah et Heureca, avec les explications de la situation entre les deux autres personnages, des dialogues comprenant de petites piques humoristiques, une tension narrative pour l'intrigue dont les enjeux commencent à devenir intelligibles, et une tension sexuelle tangible. le lecteur est sous le charme de ces personnages faisant montre d'une réelle empathie, d'un intérêt émotionnel pour l'autre.

Les trois derniers chapitres sont un peu plus courts, et les deux fils narratifs principaux (celui de Lauren Thomas, et celui de Merryl Alaris) se rejoignent quand elles se rencontrent, se rattachant ainsi à celui de Leliah Ashen & Thadeus Brimstone. le lecteur sourit en voyant Lauren se rendre dans un club échangiste avec pratiques SM, un clin d'oeil direct à la série Sunstone. Il est possible d'en reconnaître les principaux personnages au bar le temps d'une case, comme il avait souri en reconnaissant Hadès en provenance de la série Punderworld de Linda Sejic. Des clins d'oeil sans incidence sur l'intrigue. L'artiste continue d'être dans une forme éblouissante : le cosplay de Red Sonja le temps d'une case, la direction d'actrices qui sont naturelles, expressives, pleines de vie, la réaction de Merryl quand Lauren caresse sa queue, la partie de jambes en l'air entre elle d'une sensualité torride avec une touche d'humour, la réaction de libération jouissive quand Lauren est délivrée du poids de ses regrets (le lecteur en soupire d'aise avec elle), etc. C'est une évidence que Stjepan Šejić raconte son histoire à sa manière, avec sa personnalité, une saveur de bluette bon enfant qui vient relativiser les drames, sans les vider de leur tension, une vraie personnalité de conteur pour une oeuvre de grande ampleur immédiatement accessible avec une qualité extraordinaire de divertissement.

La couverture promet un récit sensuel avec une touche de surnaturel, et un piège sous-jacent contenu dans les clauses en petits caractères. le lecteur plonge dans un roman sous forme de bande dessinée, avec une structure solide de grande ampleur, prenant le temps de présenter les personnages et d'installer les situations, avec une narration visuelle d'une grande maîtrise, riche et fluide, protéiforme et cohérente, des personnages animés par des émotions qui touchent le lecteur, les dessins déclenchant son empathie avec un naturel confondant. Stjepan Šejić manie les conventions de genre avec un art consommé, qu'il s'agisse de ceux de la comédie dramatique, de la comédie de situation, de la Fantasy, du cosplay, de la séduction, de la sensualité.
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