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Critique de SZRAMOWO


Toulouse, la ville rose vire au noir !
Avec Trafics, Benoit Séverac explore l'actualité des quartiers autour des réseaux qui, aux marges de notre société, conduisent à la délinquance et à la radicalisation.
Le lieu de son roman est le quartier des Izards à Toulouse « un des quartiers de la ville où la criminalité est la plus élevée »
Les trajectoires de plusieurs personnages vont se croiser ; Nourredine Ben Arfa, un caïd qui fait dans le trafic de drogue ; sa petite soeur Samia, 14 ans promise à un mariage de raison ; Sergine, une vétérinaire du quartier ; L'Emir, qui « parle au nom d'Abou Bakr al-Baghdadi. » ; Hamid Oman le futur Kamikaze et son frère Bejid.
Et puis, il y a les flics. Les polices. le lieutenant Menou des stups. le capitaine Alliot des renseignements intérieurs. le brigadier-chef Nathalie Decrets du Commissariat Nord. Les premiers font dans le stratégique. Dans l'international. La seconde dans le quotidien et l'immédiateté.
Roman reportage, très bien écrit et très documenté, Trafics nous fait pénétrer avec réalisme, sans excès et esbroufe dans une réalité que les médias nous distillent au compte-goutte en utilisant toutes les ficelles du politiquement correct au sensationnel et au scoop.
Ici, rien de tel. le principe du roman est de montrer de façon simple et réaliste comment cohabitent et s'ignorent ces différents personnages, chacun axé sur ses objectifs propres, ses valeurs et ses convictions.
L'auteur surfe sur les crêtes des abimes séparant les personnages. Sergine, la véto est empêtrée dans ses problèmes sentimentaux. Les parents de Samia ne lui laissent guère le choix de gérer ses envies sentimentales. L'Emir professe « L'heure n'est plus aux grandes campagnes d'attentats. », et rajoute « — Il faut montrer aux Français que leur pays n'est pas ce qu'ils croient, uni et un, mais qu'il nourrit en son sein le germe de sa propre chute. ». Nourredine le Caïd est plus prosaïque dans ses ambitions, il veut le marché de la came aux Izards. Les flics eux, se livrent l'habituelle guerre des polices.
Hamide, le kamikaze, doute « Hamid a beau essayer, il ne parvient pas, à l'instar de son frère aîné, à mépriser et détester tous ceux qu'ils appellent des mécréants : les Arabes occidentalisés et les Français qu'il faut considérer comme responsables de la situation des Beurs, sans exception. Hamid en connaît qui sont bien »
Pendant que chacun vaque à ses paisibles occupations, la véto vête, ses clients borborygment sur les bobos de leurs animaux de compagnie. Ceux-là, ne veulent pas se mêler des affaires des autres, fussent-ils des délinquants : « Elle espère que ce qu'on dit à propos des voyous du quartier est vrai. Il paraît qu'une fois qu'ils ont obtenu ce qu'ils veulent, pourvu qu'on leur laisse mener leurs affaires comme ils l'entendent, ils retournent dans leurs coursives et leurs caves »
Les autres, eux, se préoccupent de choses essentielles à leurs yeux. Prendre le pouvoir sur le quartier des Izards. Afin d'écouler sa marchandise mortifère pour Nourredine. Dans le but d'assoir l'empire du califat pour l'Emir. Et, comme dit le proverbe, il n'y a pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot…Les flics vont jouer de cette concurrence pas toujours à leur avantage.
La mécanique du roman fonctionne très bien. Comme au départ d'une course de 110 mètres haies, chaque coureur est dans son couloir. Passe les haies l'une après l'autre, jusqu'à ce que l'un deux dévie, trébuche et fasse vaciller la belle harmonie du départ. Il y aura bien un vainqueur mais que de dégâts. Tout va bien tant que les délinquants gèrent leur trafic tranquillement, sans faire de vagues. Que les Emirs prêchent sans agir. Que les flics contrôlent les débordements, manageant les indics avec cynisme, sortant les cartons jaunes ou rouge si besoin. Mais quand tout s'emballe, c'est une autre paire de manches. Les activités souterraines apparaissent au grand jour.
« Les stups laissent faire pour ne pas gêner le trafic qu'ils observent, ils jouent la carte du chaos pour préserver leur fonds de commerce... Au nom de la lutte contre les trafiquants de grande envergure, la hiérarchie laisse une poignée de petits dealers pourrir la vie de centaines de pauvres gens ; les médias ne s'intéressent qu'aux faits divers et les politiques s'en lavent les mains, parce que ces gens-là ne votent pas, ou mal. »
Sergine a décidé d'agir seule, sans se soucier des conséquences :
« — Je comprends parfaitement. Je m'adresse à vous, parce que je ne suis pas rassurée. Sans déroger à votre devoir de confidentialité, je vous demande simplement de vérifier auprès des enseignants de Samia si elle a été absente ces jours-ci. »
« Alors tout le monde s'en fout ! Ils dealent, ils tuent des chiens, ils m'agressent en pleine journée dans ma clinique devant mes clients, ils menacent de me tuer... en toute impunité ? Vous les laissez faire. »
« — Puisqu'on te dit qu'il n'y a rien que tu puisses faire pour elle !
— C'est ce que les lâches disaient sous l'Occupation. »
Sergine, elle n'a rien d'une lâche.
Trafics de Benoit Séverac, un roman qui gagne à être lu.
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