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Critique de luxorion


Par Michèle Morgen/U.Strasbourg
Extrait de "Revue de l'histoire des religions", 3/2012.
L'ouvrage rédigé en commun par Nathalie Siffer et Denis Fricker – tous deux maîtres de conférences à la Faculté de théologie catholique de l'Université de Strasbourg – fait partie d'une collection destinée à un public large mais toutefois déjà initié aux travaux bibliques. Les auteurs proposent un état de la question des recherches actuelles sur l'hypothèse d'un écrit qui serait à la source de certaines parties des évangiles contenant essentiellement des paroles de Jésus. Les chercheurs désignent habituellement ce document-source par l'expression « La source Q » ou tout simplement par « Q », première lettre du terme allemand Quelle (source).
Les deux auteurs ont organisé leur livre en 6 chapitres successifs que je me permets de présenter en deux ensembles. le premier (chapitres 1-3) rassemble les questions déjà posées et encore en suspens sur l'hypothèse elle-même et sur la formation de Q.
L'hypothèse est aujourd'hui considérée comme acquise par de nombreux chercheurs, bien qu'à des degrés divers comme cela est bien expliqué (p. 29-45). Malgré son petit format, l'ouvrage permet désormais d'avoir accès au texte de la source Q, tel qu'il a été établi par les meilleurs spécialistes, tout en sachant que l'on reste toujours dans le cadre d'une hypothèse ; chemin faisant les auteurs rappellent constamment cette évidence pour que le travail garde sa valeur scientifique. Cette première partie fait donc le point sur l'état de la question et présente en continu le texte du document supposé (p. 56-72). le travail est Nathalie Siffer et Denis Fricker, « Q » ou la source des paroles de Jésus rigoureux, tout à la fois scientifique et pédagogique. Manquent parfois certaines explications à propos du choix du vocabulaire ou de la réorganisation complexe de certains passages d'un texte recomposé qui se veut le texte de la source primitive.
Bien des questions restent à discuter dans le détail et cela n'enlève rien à la qualité du travail fourni dans le livre que nous examinons. Sur certains points la discussion critique reste vive et les positions divergent sur de nombreux détails. Par ailleurs, le présent ouvrage ne pouvait s'engager ni dans des recherches exégétiques trop développées ni dans les finesses des différentes restitutions déjà effectuées par les spécialistes. le lecteur
consultera une synopse des quatre évangiles, et, intéressé par les questions qui se poseront inéluctablement à la comparaison des textes, il poursuivra ses recherches par des études plus techniques et par l'étude de l'un ou l'autre des ouvrages mentionnés en bibliographie. On ne lira donc pas ce livre en le refermant simplement ; il donne plutôt envie de poursuivre la recherche, de se documenter et de s'intéresser aux travaux en cours.
Dans un deuxième ensemble (chapitres 4-6), nos deux auteurs présentent un travail original et souvent inédit sur la christo-logie et sur la théo-logie de Q, étude pour laquelle ils méritent d'être grandement félicités. le travail est à nouveau minutieux et bien rédigé.
Les chapitres 4 et 5 suivent un plan similaire. le chapitre 5 présente « Jésus dans la source Q » à savoir les titres ou les désignations de Jésus (Seigneur, Fils de Dieu, Fils de l'homme, Celui qui vient) et son portrait (L'envoyé de Dieu, L'autorité de Jésus, Jésus thaumaturge). le chapitre 6 expose les mêmes thèmes concernant Dieu, ses titres (Dieu, Seigneur, Père) et les grandes lignes de son portrait (transcendant, bon et miséricordieux, créateur, Dieu du salut). Dans ces deux chapitres importants de leur livre, N. Siffer et D. Fricker étudient plusieurs passages en insistant sur quelques points particuliers. Ils encouragent à nouveau le lecteur à aller voir le texte de plus près, non seulement celui restitué de la source Q, mais ceux des évangiles de Mt et de Lc, et donc à s'interroger sur les choix opérés. Pour ne pas allonger la recension de l'ouvrage, je me contente de quelques suggestions ou remarques de lecture.
L'article défini donné dans le titre du livre « “la” source des paroles de Jésus » demanderait à être précisé à plusieurs reprises dans l'ouvrage. Il y a dans les évangiles d'autres paroles de Jésus que celles de la source Q (dans les discours apocalyptiques de Marc 13 par exemple, ou dans les paraboles, etc.), d'une part, et, d'autre part, il y a peutêtre d'autres sources des paroles de Jésus que la source Q (à la base de la tradition johannique par exemple).
L'absence du titre de « Christ » dans la source Q est particulièrement mise en évidence comme l'indique la quatrième page de couverture qui résume les points centraux de l'ouvrage. Mais comment s'étonner tellement de l'absence du titre de Christ, puisque par principe de départ, on a éliminé du document Q des textes comme les récits d'enfance et de la passion-résurrection qui ne contiennent que peu de paroles de Jésus, et que par ailleurs on a défini comme document Q des textes d'évangile qui ne sont pas attestés par Marc ? Il aurait été intéressant de noter aussi la parcimonie de ce titre, ou plutôt son emploi judicieux dans l'évangile de Marc, et la manière particulière dont cette parole de Jésus est rapportée par la triple tradition (Mc, Mt et Lc) lorsque Jésus emploie le titre, précisément en question rhétorique ; voir Mc 12,35 (par. Mt 22,42 ; Lc 20,41) où le titre de Christ désigne le Messie.
Le titre de « Fils de l'homme » revêt aussi une importance particulière. le tableau des pages 100-102 fournit les renseignements nécessaires à la compréhension de cette désignation avec le double déterminatif (le Fils de l'homme) dans les évangiles synoptiques en général. Mais pour en exprimer la teneur particulière dans la source Q il ne fallait pas forcément partir de la classification en Fils de l'homme terrestre, souffrant, exalté. Les explications données sur les différents logia de Q sur le Fils de l'homme aux pages 102-106 restent, à mon sens, trop accrochées aux présentations habituelles données pour l'ensemble des synoptiques et ne permettent pas de se faire une idée assez précise de l'originalité de ces dits dans la source Q.
On peut évoquer aussi cette insuffisance dans les pages 113-115 consacrées à la fonction de l'Envoyé. Les textes de Q présentent des données intéressantes et importantes sur la christologie de l'Envoyé, mais il aurait été fort utile de renvoyer davantage à la tradition des paroles de Jésus en Jean qui renforce davantage encore ce trait et de montrer également l'originalité de la source Q.
L'examen du texte sur l'amour des ennemis permet aussi de s'interroger sur la réorganisation du passage et sur la restitution des vocables primitifs de la source. le texte de Q réorganisé (p. 58) suit la progression de Mt 5,44-48 en y insérant des passages de Lc placés ailleurs et en y supprimant des passages de Mt. Ce travail fort complexe aboutit en définitive à un autre texte supposé être le texte source. La restitution porte aussi sur le choix du vocabulaire. Ici les auteurs préfèrent le « soyez miséricordieux » (de Luc) au « soyez parfaits » (de Matthieu). L'option en faveur de l'adjectif « miséricordieux » conduit à la valorisation de la théologie de la source Q sur la miséricorde (voir p. 140 et p. 150). Quel fut donc le vocable de la tradition première ? La question est délicate et nous n'avons pas de réponse ; mais la difficulté demande à être rappelée.
Le dernier chapitre du livre s'attarde sur deux points de la théologie de Q. Il prend d'abord en compte l'importance de son orientation eschatologique et en particulier son insistance sur le thème du jugement ; il donne ensuite un aperçu sur les hypothèses relatives au milieu de production de la source Q, allant jusqu'à évoquer « la communauté de Q » (p. 180). Dans ce dernier chapitre, on note l'intérêt du travail sur certaines expressions caractéristiques comme sur le syntagme « cette génération ». Ce dernier chapitre évoque l'importance accrue des recherches socio-historiques dans les études néotestamentaires.
Pour terminer la présentation de cet ouvrage, il faut mentionner plusieurs encadrés qui n'apparaissent pas dans la table des matières. Signalons donc simplement les titres de ces excursus fort intéressants, parfois développés sur plusieurs pages : l'évangile de Thomas, la structure générale de Q, les principaux thèmes de Q, le Fils de l'homme, l'Esprit, les puissances démoniaques dans Q, le Notre Père, les passages de Q mentionnant un jugement et le règne/royaume de Dieu.
En conclusion, les personnes désireuses de connaître l'essentiel des hypothèses et des acquis sur ce document comprenant des paroles de Jésus reproduites dans deux évangiles canoniques trouveront dans cet ouvrage de quoi satisfaire leur curiosité scientifique, sur le plan littéraire et théologique. Elles apprécieront en outre la rigueur de la recherche, la clarté de la démarche pédagogique et la qualité de la collaboration de ces deux jeunes enseignants-chercheurs.
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