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Critique de Apoapo


Apoapo
09 septembre 2019
Ce journal de voyage, de Beyrouth à la frontière indienne à travers l'Irak et la Perse effectué au printemps 1926 en automobile – une petite et légère Ford « Modèle A » baptisée Zobeida, qui est la véritable héroïne du récit – a été publié en 1988, sans doute quelques mois avant le décès de son auteur, Ronald Sinclair, c'est-à-dire avant la révélation posthume de la véritable identité de celui-ci, né Reginald Teague-Jones en 1889. La couverture intérieure présente son auteur comme ayant vécu en Inde depuis 1910, « chargé des Renseignements dans le Golfe persique lors de l'éclatement de la Première Guerre mondiale » et « impliqué dans des opérations d'Intelligence politique et militaire, de l'Afghanistan jusqu'en Turquie, durant les 10 années suivantes [...] ». de cette manière, par simple arithmétique des dates, est révélée la véritable nature du voyage, sous couvert de mission commerciale pour explorer « les conditions du marché et les opportunités de commerce dans les principales villes d'Iran », d'autant plus que cette mission est inexplicablement interrompue avant la visite de Meshed et du Khorasan, par une injonction à se rendre à Bombay « as soon as convenient ». La couverture explique aussi que l'auteur était actuellement en train de travailler sur un roman, « a novel of the Indian Frontier », alors qu'à l'évidence l'auteur travaillait sur son livre de Mémoires de guerre, à publier posthume, et que nous connaissons sous le titre : The Spy Who Disappeared. Il est clair que le presque centenaire jouait encore les cachottiers !
Dès lors, en abordant cet opus, l'on ne se demandera pas tellement ce que l'auteur décrit, mais surtout ce qui reste après soigneuse occultation. Ses motifs sont dissimulés, donc les rencontres avec la plupart des informateurs sont presque toujours tues ; la situation politique de l'Iran, au moment-même de l'accession au trône de Reza Shah Pahlavi (1925), ne pouvant être ignorée totalement, est traitée en un petit paragraphe du chapitre consacré à Téhéran (p. 113) synthétisée par l'observation laconique suivante : « The common people seemed to be taking things very quietly and going about their business as usual. » ; le voyage n'étant pas « touristique », peu de temps et encore moins d'observations sont consacrées à la visite des sites remarquables ; de même, les quelques informations rapportées des ouvrages d'Histoire locale, ou de géographie, ou de folklore, ne font pas le poids avec ce que l'on s'attend de la littérature de voyage, surtout à la fin de l'âge d'or de l'orientalisme... ; que reste-t-il donc dans la mémoire – ou dans les aveux – du vieil espion ? Eh bien, l'anecdotique et l'aventureux ! Au demeurant, la plume faconde aidant, ce n'est pas peu, et ça s'avère fort agréable à lire. Un certain nombre d'anecdotes proviennent du compagnon de route d'un temps, Abdoul, qui faute d'avoir servi de mécanicien ou même de simple chauffeur, s'avérera un magnifique conteur ; la maîtrise de la langue persane de Teague-Jones alias Sinclair l'expose aussi à de nombreux échanges avec la population locale, donnant lieu à des situations cocasses ; mais surtout, à une époque où le voyage motorisé est encore beaucoup moins raisonnable que la caravane de chameaux ou le convoi d'ânes, la route, avec traversées de cols montagneux et d'étendues désertiques, avec l'incursion fréquente de brigands, sous des conditions météo extrêmes, surtout avec des moyens techniques rudimentaires – les pneus qui explosent souvent, le moteur qui cale en côte, le radiateur qui consomme davantage d'eau que le moteur de carburant, la lubrification qui tolère de l'huile de moutarde, les plaquettes des freins renforcées au tissu de chanvre... (!) - constitue en elle-même une source d'émotions vives, qui vont de l'amusement à la sincère inquiétude. Au degré zéro du parcours, il y a toujours le chemin. L'anecdotique, lorsqu'il est bien raconté, lorsqu'on a de surcroît la chance de reconnaître en partie des lieux et certaines coutumes évoquées, lorsque le recul d'un siècle assure le dépaysement, lorsqu'il convoque alternativement le sourire et l'effroi, est exactement ce que l'on peut apprécier le plus d'un sympathique vieux monsieur.
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